Witold Gombrowicz
(quelques détails biographiques)
Witold
Gombrowicz (1904-1969) est un écrivain beaucoup moins célèbre que quelques-uns
de ses exacts contemporains. J’en donnerai plusieurs exemples. Ferdydurke, son premier roman est publié
en 1937 en Pologne, quelques mois avant La
Nausée de Jean Paul Sartre. En Argentine, avec « un peu » de
retard, il lit L’homme révolté du
futur Prix Nobel Albert Camus, qui n’emporte pas son assentiment (1). A
la fin des années soixante, revenu en Europe, installé à Berlin, puis à Vence,
il bataille ferme dans son Journal
avec le « Nouveau Roman Français », qu’il méprise, l’avant-gardisme
littéraire (Tel Quel, Sollers), la
Nouvelle Critique (Barthes) et le structuralisme (Foucault)
Son
œuvre n’est pas si abondante, il se dit l’auteur d’à peu près « trois
mille pages » ; parmi lesquelles cinq romans (Ferdydurke, Trans-Atlantique,
La pornographie, Cosmos et Les envoûtés),
un livre de contes bizarres (Bakakaï),
trois pièces de théâtre et un Journal,
un des chefs-d’œuvre du siècle.
Gombrowicz
est un esprit critique et corrosif. Ses jugements sur son époque et les autres
écrivains sont souvent sévères : c’est un
euphémisme. Il est par exemple impitoyable
avec Borges, ce « fade bouillon pour gens de lettres » qui a
« la déplaisante faculté de mobiliser autour de lui tout ce qu’il y a de plus
piètre et de plus émasculé » (2). Beaucoup d’auteurs ne
l’intéressent pas un instant : ni Balzac, ni Flaubert, ni Zola !
Comme il le répond à Michel Polac, dans l’émission que celui-ci lui a consacrée
pour la télévision française à Vence en 1969. Le surréalisme ne l’occupe guère.
Il n’a aucun goût pour Proust ou Vladimir Nabokov, qui en grand seigneur russe
le confond avec un autre polonais, l’auteur de L’Oiseau bariolé : «… pour moi Nabokov c’est rien du tout » (3).
La littérature du vingtième siècle assez généralement l’ennuie…
Il
aime Baudelaire, Rimbaud, Rabelais, Dostoïevski, Tolstoï, Thomas Mann, Céline.
Il a une large culture philosophique et un goût de la philosophie dont sont souvent
dépourvus ses adversaires. Avec une prédilection particulière pour Montaigne,
Pascal, Schopenhauer et Nietzsche (4).
Par
exception, il est plutôt philosémite, Bruno Schulz, l’auteur des Boutiques de cannelle, est l’une des
grandes amitiés de sa vie (5) et il est l’un de ces athées tranquilles
que Gilles Deleuze appelait de ses vœux : « Le divorce d’avec Dieu –
une affaire capitale, grâce à quoi l’esprit s’ouvre à la totalité de l’univers
– s’est opéré en moi facilement, sans que je m’en aperçoive, je ne sais pas
comment cela s’est passé ; tout simplement, vers ma quinzième ou
quatorzième année, j’ai cessé de me préoccuper de Dieu. Mais je crois que même
auparavant il ne me préoccupait guère.» (6)
C’est
un provocateur, un amuseur, un pitre qui aime tromper son monde. En Argentine,
où l’ont surpris l’invasion de la Pologne et le déclenchement de la guerre, il
aime à jouer aux échecs et au Comte polonais dans les cafés, comme il le
raconte plaisamment dans son Journal :
« Eh bien, écoutez ! Bien sûr que je ne suis pas comte, vous savez ça
comme tout le monde. Et pourtant, il y a quelques années, je me suis proclamé
comte au Café Rex, où je vais tous
les soirs, et pendant une assez longue période, on m’appelait au téléphone
« conde Gombrowicz » – assez longue seulement, car il est tombé aux
mains de mes amis du Café Rex un
exemplaire des Frères Karamazov de
Dostoïevski, où ils ont appris que tout Polonais voyageant à l’étranger est
comte.» (7)
Gombrowicz
a vécu presque vingt-quatre années en Argentine, dans une situation matérielle
souvent difficile, voire exécrable. Sept ans, il travaille dans une banque et
déteste cela. A l’exception d’Ernesto Sabato, il n’a guère de contacts avec la
littérature argentine. L’Argentine lui permet cependant de vivre librement sa
sexualité.
A
Vence, il fait un étonnant mariage avec une jeune canadienne, Rita. Soutenu par
Dominique de Roux, avec lequel il écrit un livre d’Entretiens, Testament, jusqu’au bout, il se bat pour
imposer son œuvre parmi celles du siècle. Malade, diminué, ne trouvant de
réconfort que dans la philosophie, sa grande passion avec la musique, ne
pouvant plus écrire, il dicte à Rita et à Dominique de Roux ses fameux Cours de philosophie en six heures et quart.
Il meurt le 24 juillet 1969. Il est enterré dans le cimetière de Vence. Je m’y
suis rendu en juillet 2008. Sa tombe est blanche et sobre. Il n’y est pas fait
mention de ce qu’il est et demeure : un grand écrivain…
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1 – Sur L’homme révolté d’Albert Camus, Journal, Tome I, p.98 à 104
2 – Journal, Tome II, p.359 et p.310
3 – Lettre à Dominique
de Roux du 28 juin 1969.
4 – Testament, Entretiens avec Dominique de Roux,
p.20
5 – Sur son amitié
avec Bruno Schulz, Journal, Tome II,
p.205 à 217
6 - Testament, Entretiens avec Dominique de Roux,
p.19-20
7 – Journal, Tome I, p.105-106
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