lundi 28 février 2022
lundi 21 février 2022
dimanche 20 février 2022
Trois poèmes de Pierre Louis Aouston
Au
bord de l’eau
Au
centre ville
Tout
était sous contrôle
Chaque
geste était payant
Chaque
geste était vérifié
Le
possible était englouti
Dans
le quotidien
Sauf
Les
berges du canal
Elles
résistaient
Depuis
longtemps
La
jeunesse terrifiée
Les
vieux désabusés
Y
construisaient
Un
rêve insuffisant
Libre
Elle
vivait avec un homme infect
Elle
n’avait pas le choix
Astreinte
Trépasser
dans la rue
Astreinte
Vivre
dans son foyer
Une
servitude inaudible
Elle
contrôlait la situation
De
chaque instant
Par
petites touches distraites
Elle
était invisible
Sa
tristesse camouflée
Dans
ses traversées urbaines
La
même chose s’il vous plaît
À la table
D’un
bistrot de nuit
Deux
hommes
Face
à face
…
Deux
nuiteux d’un âge avancé
…
Ils
ne vivaient que la nuit
…
Avec
une verbosité époustouflante
L’un
l’autre
Narraient
leurs démonstrations mémorables
C’était
une nuit étoilée
Incendiaire
pour
eux
Il
le fallait
Dévorer
le crépuscule
Jusqu’au
jour
Les
trois poèmes sont extraits de L’aube avant les huîtres de Pierre Louis Aouston.
Les Lieux-Dits éditions, 2022.
Les Lieux-Dits éditions
Zone d’art
2 rue du Rhin Napoléon
67000 Strasbourg
Pour
commander le recueil de Pierre Louis Aouston, vous pouvez consulter son site, à
la rubrique Livres, en cliquant sur la couverture.
https://aouston.wixsite.com/aouston
vendredi 18 février 2022
La perte d'un visage
Son
visage étant tombé sur le sol, le jeune homme, renversant sa chaise, se jeta à
terre. À l’autre bout de la longue table, un enfant qu’étranglait un joli
nœud papillon éclata de rire, croyant sans doute que le jeune homme cherchait
encore à provoquer un de ces esclandres pour lesquels il était connu dans le
beau monde et qui lui valait une réputation flatteuse : auprès des domestiques
et des enfants du moins. Une clameur s’éleva. Que se passait-il ? Que
faisait le personnel ? À pas
lents, tout en époussetant les manches de son bel habit noir, le majordome s’approcha
et déclara d’une voix solennelle :
« Monsieur
cherche son visage. Il semble que son visage soit tombé sur le sol. »
Cette
annonce provoqua un grand désordre parmi les convives rassemblés autour de la longue
table.
–
Perdre la face aux yeux de tous ! s’indigna une dame respectable sans
avoir conscience apparemment du malentendu auquel pouvait donner lieu son
expression.
Un
homme d’esprit lui rappela d’ailleurs d’une voix onctueuse qu’en de telles
circonstances le sens figuré ne convenait guère : il semblait bien que ce
fût littéralement que le jeune homme eût perdu la face.
–
Je suis certaine que ce jeune homme cherche encore à se faire remarquer, dit
une jeune demoiselle avec dégoût. Perdre son visage ! Cela vous est-il
déjà arrivé à vous ? me demanda-t-elle en se tournant vers moi.
Prenant
par jeu des airs de courtisane, elle agitait un éventail et me regardait avec des
yeux brillants qui semblaient attendre une réponse sans indulgence. J’étais
gêné, et comme elle insistait, je dus convenir que non.
– C’est un tel étourdi, reprenait la dame respectable
que les remarques subtiles de l’homme d’esprit avaient un instant interrompue
et fait réfléchir. J’ai bien connu sa pauvre mère Elle disait toujours de lui :
il perdrait ses fesses si elles n’étaient pas attachées.
On
rit, on pouffa, quelques plaisanteries égrillardes se firent entendre d’un bout
à l’autre de la table. Le repas n’en était pas moins interrompu et afin d’aider
le jeune monsieur, les domestiques avaient retiré les chaises autour de sa
place pour les porter dans un coin, et les recherches demeurant infructueuses,
le majordome avait même jugé bon de repousser la table. Peu à peu, tout le
monde s’était levé : on faisait cercle autour du semeur de trouble qui à
la recherche de son visage arpentait, à quatre pattes, le tapis.
–
Peut-être a-t-il roulé sous un meuble,
avez-vous bien regardé ? dit l’homme d’esprit qui un verre de vin à la
main, se frayait un passage.
Dans
son désarroi, le jeune homme parfois se retournait vers les convives, en
tentant de hausser les épaules comme s’il n’y avait rien là d’étonnant et qu’on
dût continuer à s’amuser. Le spectacle de sa tête sans visage était affreux et
quelques jeunes filles sensibles tombèrent évanouies dans les bras de leur
compagnon. Par contre, ce divertissement imprévu semblait beaucoup amuser les
enfants que l’on ne tenait plus et qui couraient dans tous les sens. Une image
pénible et sans doute provoquée par la remarque de l’homme d’esprit me traversa :
celle d’une bande de papier que l’on arrache à un mur d’un coup sec… N’était-ce
que cela, un visage ?
–
Mais il ne peut pas regarder, s’écria une jeune fille bouleversée en agitant
ses bras maigres et blancs comme si elle avait voulu s’envoler, puisqu’il n’a
plus de visage !
–
Très juste, admit l’homme d’esprit en prenant pour l’amuser un air contrit, je
n’y avais pas songé. Il est aveugle comme le destin et muet comme le ciel. Par
contre vous remarquerez qu’il entend tout ce que nous disons. D’une manière
étonnante ses oreilles ne sont pas tombées. Mais à proprement parler, les
oreilles font-elles partie du visage ? Pour en décider, il faudrait
consulter un spécialiste.
Je
ne pus me retenir.
–
Taisez-vous donc, dis-je en m’avançant
vers l’homme d’esprit. Parler ainsi d’un homme, d’un homme qui souffre, c’est…
L’homme
d’esprit me regardait avec un plaisir qu’il ne cherchait nullement à dissimuler.
Je tremblais, j’étais confus et cherchais mes mots.
–
Mais finissez donc mon ami, vous devenez intéressant, dit l’homme d’esprit en s’approchant
de la table pour se servir du vin. Ce n’est pas tous les jours que l’on a l’occasion
de participer à un enrichissant débat.
–
C’est vrai qu’il doit souffrir, s’écria la jeune fille en cessant d’agiter les
bras, comme si l’idée de la souffrance avait d’un coup contrarié son envol.
–
Ce n’est pas une raison pour se laisser ainsi aller, opina un petit vieillard à
lunettes que l’on avait perdu l’habitude d’écouter tant il racontait toujours
les mêmes choses et qui n’était encore invité que par complaisance. De mon
temps, il ne serait venu à l’esprit de personne de perdre son visage. De nos
jours, chacun n’en fait qu’à sa tête. Regardez-le, comme il traîne sur le tapis !
–
Il y a du vrai dans ce que dit ce monsieur, reprit l’homme d’esprit avec un
grand sourire. La souffrance n’excuse pas tout. Et où irait-on d’ailleurs, si l’on
devait s’arrêter à la souffrance de chacun ? Pour ma part, j’ai l’estomac
dans les talons, et si notre hôte ne consent pas à faire cesser les frasques de
son fils, je crois que je vais aller dîner ailleurs.
Cette
menace frappa l’assemblée de stupeur et tous les regards, abandonnant un instant
le fils, se tournèrent vers le père qu’à vrai dire on avait oublié et qui était
encore assis tout au bout de la longue table, jouant rêveusement avec une serviette
de soie brodée. Qu’allait-il dire ? Le majordome, traversant le salon, s’approcha
à pas rapides comme pour quérir un ordre.
–
Monsieur a raison, dit enfin le père en écartant d’un geste le majordome qui s’était
penché dans l’attente d’une consigne. Veuillez, mes amis, pardonner à mon fils :
ces derniers temps, il est souffrant. Une nuit de repos lui fera du bien. Je
vais le faire ramener dans sa chambre.
Comme
s’ils n’avaient attendu que cela, deux domestiques soulevèrent le jeune homme
en le prenant sous les bras. Le jeune homme, surpris d’abord, voulut leur
résister et se débattre. Je ne pus retenir un tremblement à l’idée qu’emporté comme
un fou il ne pouvait ni crier, ni défier d’un regard ceux qui le condamnaient… Et
je baissais honteusement les yeux, quand le jeune homme, tentant encore de s’accrocher
avec désespoir au montant de la porte, tourna une dernière fois vers le salon
sa tête sans visage.
Ce texte appartient au recueil autoédité Les heures captives (décembre 2012). Frédéric
Perrot.
mercredi 16 février 2022
Nicolas Mathieu, Connemara (un extrait)
Et votez bien !
gueula Didier, le grand frère célibataire déjà passablement éméché.
Des
gens trouvèrent ça drôle, d’autres moins.
Depuis
que Marine Le Pen s’était qualifiée au second tour, cette phrase était devenue
le mantra du pays. Dans les journaux, sur les réseaux, à la télé, importants
divers et leaders d’opinions présumés se succédaient sans trêve pour
décortiquer les causes du désastre et gourmander la nation. Le maire de Cornécourt
lui-même, qui était sans étiquette et ne faisait pas de politique (dixit),
y était allé de son petit couplet après la cérémonie. Il fallait faire barrage,
pour la République et nos enfants, on ne pouvait pas jouer avec le feu comme
ça, d’autant que les regards du monde entier étaient braqués sur la France,
même si bien sûr il fallait entendre la colère, les difficultés des gens, etc.
Les invités l’avaient écouté poliment avant de vider les lieux dans un piétinement
calme émaillé de murmures sombres. Les vieux surtout semblaient s’alarmer de la
situation, eux qui pourtant étaient les moins concernés par l’avenir. Chez les
plus jeunes en revanche, et les hommes surtout, ce remue-ménage suscitait une
sorte de jubilation mauvaise. C’était tout de même beau pour une fois de voir
la panique en haut lieu, le prêchi-prêcha affolé des bien lotis. Leur tour de
sentir le sol meuble sous leurs pieds. Pour deux semaines, l’ordre des choses
semblait suspendu, les forces inversables.
Au
mariage comme ailleurs, on ne pouvait éviter longtemps d’aborder ce sujet. Les
têtes étaient si farcies de sondages, les esprits tellement gavés d’analyses et
de chiffres. Cette interminable campagne avait tordu les nerfs de tout un
peuple. Mais dans cette immense rafle des consciences, il demeurait presqu’autant
de vues que de Français. Ainsi, certains avaient regardé le débat de l’entre-deux-tours,
d’autres pas. Il y en avait qui ne loupaient jamais un JT et d’autres qui ne
voulaient plus en entendre parler. Macron avait ses fans, Le Pen ses
sympathisants. Les militants s’obnubilaient chacun dans son couloir. Les
niches, les variantes, les groupuscules, les singularités pullulaient sous le microscope
des analystes qui feignaient de tout comprendre. Des gens bien intentionnés
plaidaient pour plus d’éducation, de moyens, de temps, d’écoute. D’autres plus sévères
ne voyaient que déclin, minage, recul et prônaient de cruels tours de vis. Les
blasés n’y croyaient plus. Les optimistes compulsifs rêvaient pour la millième
fois d’hypothétiques refondations. De part et d’autre de ces lignes de partage
qu’on croyait morales et qui, bien souvent, relevaient plus platement de l’origine,
de la géographie, du niveau scolaire ou de la fortune, des acharnés crachaient
leur dégoût du camp d’en face, symétriques dans le rejet, également convaincus,
tous malheureux et crevant de certitudes. Le pays était devenu cette
épouvantable cocotte-minute prête à sauter, où mijotait depuis des décennies le
ragoût terrible des dénis et des surdités, du dépit et de la peine, de la crainte
du lendemain et des nostalgies inguérissables. Chaque jour, il était question
des musulmans, de l’Europe, du climat un peu, d’argent sans cesse, de la dette
qui devenait une plaie personnelle et empêchait de dormir des gens qui de leur
vie n’avaient pas été une seule seconde à découvert. Mais au fond, le seul
sujet était celui du monde qu’on voulait faire à sa main, selon sa puissance,
protégé des choses telles qu’elles tournaient, ce radeau où l’on serait finalement
entre soi. Et les tenants de l’ouverture, s’ils se donnaient l’air universel et
positif, ne faisaient rien d’autre que de circonscrire eux aussi leur atoll idéal,
accueillant en théorie, partageable en rêve. Quant aux suppôts présumés du
repli, ils se contentaient en général d’osciller entre le besoin d’un havre et
le fantasme d’une revanche.
Le
bon roman de Nicolas Mathieu, Connemara, s’achève à la veille du second
tour de la présidentielle de 2017, en ce jour, où un journal prétendument de
gauche, avait cru intelligent et subtil de barrer sa Une, d’un inoubliable :
« Faites ce que vous voulez mais votez Macron ». Depuis, on a eu tout
le temps de voir ce que valait ce sinistre arriviste, qui dans son Olympe rêve
sans doute d’une élection du même genre, gagnée d’avance face à un quelconque
candidat de la droite la plus rance… Frédéric
Perrot.
mardi 15 février 2022
Le sillage des avirons
Altonaer Museum, Hambourg |
Vois ces injustes rameurs
Qui poursuivent leur effort
Pour remporter l’épreuve
Alors que surgissant
De la foule des spectateurs
Qui agitent drapeaux couleurs
Une femme se jette du pont
Entends le bruit ondulatoire
De son corps qui se fracasse sur l’eau
Dans le sillage des avirons
Et les cris de victoire
De ceux qui les premiers
Franchissent la ligne
Le poème appartient au recueil autoédité Les Fontaines jaillissantes (avril 2021). Frédéric Perrot.
vendredi 4 février 2022
Leonard Cohen, Avalanche (traduction et adaptation Jean-Louis Murat)
J’ai été pris dans l’avalanche
J’y ai perdu mon âme
Quand je ne suis plus ce monstre qui te
fascine
Je vis sous l’or des collines
Toi qui veux vaincre la douleur
Tu dois apprendre à me servir
Le hasard t’a conduit vers moi
Pauvre chercheur d’or
Mais ce monstre que tu as recueilli
Ignore la faim ignore le froid
Il ne recherche pas ta compagnie
Même ici au cœur au cœur du monde
Quand je suis sur un piédestal
Je le gravis seul
Tes lois ne m’obligent à rien
Ni fessée ni prière
Je suis moi-même le piédestal
Par cette mare hideuse qui te fascine
Tu ne pourras vaincre la douleur
Sans être généreuse
Ces miettes que tu m’offres amour
Ne sont que les restes de mes festins
Ta douleur ici ne vaut rien
Ce n’est que l’ombre l’ombre de ma
blessure
Pourtant vois comme je te désire
Moi qui n’ai plus d’envie
Vois comme partout je te chante
Moi qui n’ai plus de désirs
Tu penses m’avoir abandonné
Mais je frémis encore quand tu soupires
Ne mets pas ces haillons pour moi
Je sais que tu es riche
Ne n’aime pas aussi férocement
Si tu ne sais plus ce qu’est l’amour
A toi de jouer allez viens
Regarde j’ai revêtu ta chair
La
chanson de Jean-Louis Murat, une des meilleures adaptations en français que je
connaisse de Leonard Cohen, se trouve sur l’album I’m Your Fan (the songs of
Leonard Cohen by). Cette traduction m’a largement inspiré pendant des
années. Frédéric Perrot.
Pour
écouter la chanson de Jean-Louis Murat :
mercredi 2 février 2022
Lecture au F.E.C. 26 janvier (photos Elise Lander, Cyril Noël)
Lors
de cette soirée, j’ai lu des extraits de mon recueil Les Fontaines jaillissantes.
Au temps de l’innocence
De tous ses oripeaux
Elle se sent éphémère
Le marronnier
En zones inondables
Des fontaines
jaillissantes
Rêve sous surveillance
Dans le brouillard
La véritable nuit de
l’âme
Scènes de chasse
Le rêve de l’ivrogne
Les machines à illusions
Revenir au réel
En mai au printemps
Zoo humain
Et pour finir :
Si vous saviez (pour Samuel Paty)
Frédéric Perrot