mercredi 29 novembre 2017

La grève des mots (texte de Kelig Nicolas)

À l’origine (juillet 2015), il y a une suggestion d’une amie, pour écrire, un thème : LES MOTS ! J’ai écrit un poème plus ou moins honnête, baptisé « Parmi tant de mots ». Mais comme le principe m’amusait, j’ai lancé le jeu, j’ai fait circuler l’idée ; invitant quelques amis à poursuivre sur le même thème.

Le texte qui suit est la contribution de Kelig Nicolas.   


La grève des mots


Assez de mots ressassés, piétinés, asséchés, malmenés, bafoués
Assemblés pour tromper
C’est entendu ces temps tendus
Les mots retournent sous la langue se réparer
Se lovent bouche muette et boudeuse
Dents en dedans se recomposent à l’abri
Ils refusent de sortir
Ils ne préfèrent pas s’émettre
Une colonie pénitentiaire de mots réfractaires
Refusent de partir à la guerre
Ils portent des messages fraternels collés à la peau
Ils ont décidé de se rassembler
Pour dire à l’inverse
De ce qu’on nous fait avaler
Comme boniments malfaisants
Comme faits truqués
Ils sont fatigués des mensonges qui torturent l'esprit
Ils sont épuisés de servir à manipuler
Ils n’ont plus d’eau ni de sel
Ils sont secs et comme morts
Sous la langue commune ils retrouvent un peu de vie et de bonheur
Ils sont imagés, ils portent ensemble des paquets de rêves
Des lueurs d'espoir, des morceaux de raison, de vraies histoires
A se parler animés en langages réinventés.

lundi 27 novembre 2017

Poussière d'étoiles (fragments choisis de Jimmy Poussière)



Tu n’es pas grand-chose d’autre que du temps qui passe.


***

Ton bruit intérieur s’articule
La mort, tu y penses tous les jours

Tu n’as jamais pu revenir
De l’abandon qu’ils ont créé pour toi


***

Seul dans le phare tu prends conscience du temps qui passe et de l’extrême précarité de la vie. Tu n’entends plus que le bruit de la mer et des vagues qui se heurtent –  le bruit de la beauté pure qui t’écœure lorsqu’elle te dévisage.


***

Tu as presque failli parler à quelqu’un l’autre jour, ce n’est pas passé très loin – des fois, tu rates des gens à seulement quelques années lumières près.


***

Brutalisé par la vie
Tu ne veux pas
De cette solitude malsaine avec autrui

Vivre à l’écart des hommes
Etre ta prison permanente
C’est tout ce qu’il te reste comme dignité


***

Année après année, inéluctablement, il y a cette austérité dont tu fais preuve qui s’est imposée à toi-même.

Quand tu auras fini d’écrire, toutes les colombes se seront envolées.


***

Tu envierais presque (et ce n’est pas très intelligent) les gens qui savent ce qu’ils veulent. Toi tu ne sais que ce que tu ne veux pas.


De mauvais augure (extrait avec dessins)

Jimmy Poussière (Alain M)


Avec une perversité peu commune et pour ainsi dire humaine, l’oiseau lui picorait les yeux. Il les lui meurtrissait à petits coups rapides et réguliers et ne semblait pas désireux de chercher sa nourriture ailleurs qu’au fond de ses orbites.  Il aurait dû se révolter contre un pareil destin, mais alors que ce n’était même pas un gros oiseau et évidemment pas l’un de ces impressionnants corbeaux comme on en voit parfois, il était sans force sous ses assauts et il ne parvenait pas à soulever le bras qui lui eût permis de le chasser, comme il ne réussissait qu’avec peine à bouger la tête. Une fois de plus, il pouvait déplorer son inertie et alors que l’oiseau s’acharnait à chercher dans ses yeux une nourriture qui selon toute vraisemblance ne s’y trouvait pas, incapable de réagir, il se mit à penser à tout à fait autre chose.

                                    Frédéric Perrot


Dessin Kelig Nicolas

jeudi 23 novembre 2017

Mon cœur mis à nu

Jimmy Poussière (Alain M)



          « Il est impossible de parcourir une gazette quelconque, de n’importe quel jour, ou quel mois, ou quelle année, sans y trouver, à chaque ligne, les signes de la perversité humaine la plus épouvantable, en même temps que les vanteries les plus surprenantes de bonté, de probité, de charité, et les affirmations les plus effrontées, relatives au progrès et à la civilisation.
            Tout journal, de la première ligne à la dernière, n’est qu’un tissu d’horreurs. Guerres, crimes, vols, impudicités, tortures, crimes des princes, crime des nations, crimes des particuliers, une ivresse d’atrocité universelle.
Et c’est de ce dégoûtant apéritif que l’homme civilisé accompagne son repas de chaque matin. Tout, en ce monde, sue le crime : le journal, la muraille et le visage de l’homme.
Je ne comprends pas qu’une main puisse toucher un journal sans une convulsion de dégoût.»

                                                  (Charles Baudelaire, Mon cœur mis à nu)


Noté dans mon Journal (octobre 2015)

mercredi 22 novembre 2017

à une passante

Jimmy Poussière (Alain M)


Où peux-tu te trouver ?
Aujourd’hui où es-tu ?
Prête à ne me pas voir
Où es-tu ?
Te prépares-tu chez toi
A n’pas me rencontrer
Ou bien à m’ignorer
Où es-tu ?
            (Dominique A, Au revoir mon amour)


pour écouter la chanson 

samedi 18 novembre 2017

La véritable nuit de l'âme

La véritable nuit de l’âme

Il est trois quatre heures du matin
La véritable nuit de l’âme
Comme l’écrivait le plus étincelant
Et le plus malheureux
Des romanciers américains

Toute vie est bien entendu un processus de démolition

Il est seul avec sa douleur
C’est le lot de tout à chacun
La douleur ne se partage pas
C’est son corps qu’elle tourmente
Son esprit qu’elle assombrit

Il est trois quatre heures du matin
La folie habituelle de la ville
Est dans une phase de latence
Et le temps est comme suspendu
En une piètre éternité

Des visions fugaces
Le maintiennent éveillé
Par instants ses yeux brûlent
Milliers de points
Qui semblent crépiter

Mêlés aux anxiétés
Mesquines du petit salarié
Aux inavouables petites envies
Aux vagues regrets 
Reviennent les événements du jour

L’éprouvante laideur des images
Le triomphe de la mort
Les tueries les corps les visages
Jusqu’à ce que le regard tombe
Sur le portrait des assassins

Ces vomissures à forme humaine
Et qui voulaient mourir les imbéciles
Et que d’autres nombreux meurent avec eux
Sans quoi sans doute la jouissance
Ne serait pas complète…

Il doit être près de cinq heures à présent
Bientôt les oiseaux
Commenceront d’appeler l’aube de leurs vœux
Retentiront leurs cris joyeux
La ville réveillera ses fous

Et ce sera un autre jour


                            Frédéric Perrot

Jimmy Poussière (Alain M)

mercredi 15 novembre 2017

the Wanderer

The Wanderer (Johnny Cash/U2)

I went out walking
Through streets paved with gold
Lifted some stones
Saw the skin and bones
Of a city without a soul
I went out walking
Under an atomic sky
Where the ground won't turn
And the rain it burns
Like the tears when I said goodbye

Yeah I went with nothing
Nothing but the thought of you
I went wandering

I went drifting
Through the capitals of tin
Where men can't walk
Or freely talk
And sons turn their fathers in
I stopped outside a church house
Where the citizens like to sit
They say they want the kingdom
But they don't want God in it

I went out riding
Down that old eight lane
I passed by a thousand signs
Looking for my own name

I went with nothing
But the thought you'd be there too
Looking for you

I went out there
In search of experience
To taste and to touch
And to feel as much
As a man can
Before he repents

I went out searching
Looking for one good man
A spirit who would not bend or break
Who would sit at his father's right hand
I went out walking
With a bible and a gun
The word of God lay heavy on my heart
I was sure I was the one

Now Jesus, don't you wait up
Jesus, I'll be home soon
Yeah I went out for the papers
Told her I'd be back by noon

Yeah I left with nothing
But the thought you'd be there too
Looking for you

Yeah I left with nothing
Nothing but the thought of you
I went wandering



Pour écouter le morceau 
https://youtu.be/d-dZvQxYX1g

en position tenace, sur la route du ciel

Jimmy Poussière (Alain M)


Le champion espagnol
Qui n’a pas froid aux yeux
Précédé de motos
En position tenace
Sur la route du ciel

           Jean-Louis Murat, Le Champion espagnol

lundi 13 novembre 2017

la blancheur de la baleine

Dessin Birte Hartmann


« Sans parler de ce qui saute aux yeux à propos de Moby Dick et qui peut effrayer l’âme de n’importe quel homme, il y avait une autre image ou plutôt une autre idée terrible d’elle, indescriptible toutefois, mais qui par, son intensité, dépassait parfois tout le reste ; quelque chose de mystique, voire d’ineffable, qui désespérait l’entendement. 
Par-dessus-tout, c’est la blancheur de la baleine qui m’épouvantait. Bien qu’y ayant déjà fait allusion par ailleurs d’une manière vague du reste, et au hasard de la plume, comment m’expliquer à ce sujet ?
Il est admis que la blancheur, par sa pureté, rehausse la beauté de maintes choses naturelles : marbres, laques, perles ; et il est connu que plusieurs nations ont donné une certaine prééminence royale à cette couleur sur toutes les autres ; les vieux rois barbares et grandioses de Pégu, avant tout autre titre se disaient « Seigneurs des Eléphants Blancs », et les modernes rois du Siam font figurer sur l’étendard royal ce même quadrupède blanc de neige. »

(Herman Melville, Moby Dick, chapitre 42, « La blancheur de la baleine »)  

samedi 11 novembre 2017

la Gitane et le Bipolaire (un poème de l'ami Guillaume)

La Gitane et le Bipolaire

Il y a bien longtemps que je ne rêve plus.
Je ne me fais plus piéger par les chimères.
Peut-être est-ce le fait de fumer jusqu’à peux plus.
J’aurai toujours le doute mais ça doit y faire.

Pourtant hier je me suis laissé prendre.
De mon sommeil opaque naquit un songe.
Etrange il ressemblait à s’y méprendre
A ceci viens mon pote on s’y replonge.

Car toi aussi tu étais de la partie.
Tu raillais même la poésie ma faiblesse.
Marie-Jeanne te donnait un air ravi.
Sous mes yeux tu faisais danser l’espèce.

Elle coulait à flots débordait de tes poches
Te peuplait l’esprit de désirs de roi
Les Jazz Clubs, les femmes, la poudre, une porsche.
Rien ne t’arrêt ’rait, en tous cas pas toi.

Moi je fumais pour tenter d’embellir
Ce rêve de vie qui te fait péter un plomb
Toi tu fumais pour t’abrutir c’est pas pire
On n’sera pas des gagne-petit, des bouffons. 

Nous avions une maîtresse commune,
Qui loin de rendre jaloux nous unissait.
Ensorceleuse elle faisait que chacune
De nos pensées brouillées était dirigée

Vers ses yeux de braise ses seins ces outrances
Cet air mutin de gitane insaisissable
Qui fait briller nos yeux, donne de l’assurance,
En nous aussi il y a une part de diable.

C’est un rêve bien banal je le concède,
Là où je t’avais promis de l’étrange.
La suite peut-être te viendra en aide.
Nous étions jumeaux avec des sourires d’ange.

Cette gitane, c’est l’argent, tu le sais mon poteau,
Qui me vrille l’esprit et me pousse à dire nous
Là où il n’y a que moi, un peu d’ mon égo
Que la gitane a rendu fou.

                                                            
   Guillaume Joseph


Jimmy Poussière (Alain M)

jeudi 9 novembre 2017

Jack the Ripper


Jimmy Poussière (Alain M)



Jack the Ripper

            Pour Alain,

Jadis j’ai connu une femme

J’eusse mieux fait
De passer mon chemin
J’ai regretté par la suite
De ne pas être chirurgien
Et de ne pas disposer
Des instruments adéquats

Elle eût été parfaite
En Mary Jane Kelly
Et moi
En Jack L’Eventreur
J’eusse pris la fuite
Avec son cœur –

Mais le problème est
Qu’elle n’en avait pas !

mercredi 8 novembre 2017

En zones inondables (accompagné d'un dessin d'Eric Doussin)


            Pour Alain Minighetti


Tremblent nos histoires d’amour sur pilotis

Insouciants de tout
Nous avons construit
Nos fières maisons
En zones inondables

Nous mésestimions
La montée des flots
L’obscène tristesse
Des plaisirs sans joie…

Depuis tout sombre sans bruit

Oh longue habitude…
Nous mimons l’amour
Dans des draps humides
Nos pauvres taudis

Nos vies se décollent
Comme des peaux mortes
Et nous souhaiterions
Que les eaux emportent

Nos deux corps tremblants et les pilotis…


                                    Frédéric Perrot


Eric Doussin

mardi 7 novembre 2017

Kelig me dédie un texte

Faire avec
           
Viennent des pensées négatives sur le Monde, rien ne peut y faire, face aux constats. Souvent celui qui en est assailli n’en dit rien, ou très peu. Il arrive qu’il en fasse part. Certains, qui ont même parfois une sorte de rôle de médecin des tourments, ont réponse à tout désastre manifeste en lapalissade inodore, ils se hâtent de rétorquer : « Le monde n’est pas parfait.»  Ainsi soit-il Lol.
… le Monde, quel qu’il soit et devienne, il serait nécessaire de s’y adapter, voici le sacerdoce de tout le monde à prendre ou à laisser. S’y plier, comprenez-vous. Pourtant, à ce possible inadmissible nul n’est tenu.

            Certes, il faut faire la part des choses, essayer de voir, relativiser, nuancer et tenir à l’existence et aussi, à la vie, mais au fond celui qui est pris par ces questions est à contre-courant par rapport à sa façon de voir ce qui est le réel, c’est ainsi, car espèce d’idéaliste, il aspire à une forme d’équilibre humain véritable, autre, avec un supplément d’âme, et ne peut en aucun cas accepter les choses en l’état.

            Enjoy !


Dessin - Kelig Nicolas

dimanche 5 novembre 2017

La nuit élucidée (publié dans le numéro 20 de la revue Lichen, novembre 2017)


                                                               Pour Kelig,

           Un orateur – Il était passé maître dans l’art de prononcer de longs discours pour lui-même, les yeux ouverts dans l’obscurité.

Contre le ressentiment« Vos écrits sont encore bien amers. À votre place, je commencerais par me purger de mon venin ; car qui croyez-vous donc piquer avec votre langue  de vipère ? »

Ou : « Je n’aime pas votre manière de juger l’humanité entière, sans avoir pris la peine de vous considérer vous-même…»

« Il parle tout seul » – « Et alors ? Il passe des heures et des heures en sa seule compagnie ; à un moment ou à un autre, il lui faut bien entendre une voix humaine, fût-elle la sienne… »

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La nuit élucidée – « Souvent la nuit nous comble de révélations provisoires ; nous avons le sentiment de parvenir à une vaste compréhension, non de nous-mêmes – car pour cela, le jour suffit –, mais du malheur commun et de ce qui agit les hommes… Et s’il n’était pas trois heures du matin, nous lancerions sans doute un éclatant Eurêka ! Hélas, à chaque fois, ces rapides éclairs de compréhension et les élans de joie qui les accompagnent, s’achèvent dans l’ironie et la dérision d’un sommeil de brute, qui les engloutit… »

« Au cœur de la nuit » – « Quelques mots qui ne veulent rien dire ; car la nuit n’a ni « cœur », ni « profondeur » : la nuit n’est que le temps tel qu’en lui-même, le temps nu – Expérience éprouvante, souvent douloureuse… »

Ou : « Je comprends fort bien tous ceux, dont moi, qui ne supportent pas la nuit et n’ont d’autre but que de l’habiter artificiellement ou de la traverser à vive allure, au gré de l’ivresse…»

Sans trace d’ironie – « Ces nuits, nous les avons vécues jusqu’au bout et intensément. Nous étions là, avec des amis, et la conversation nous portait, nous passionnait. Nous avons beaucoup ri, et parfois au fil de la conversation, nous nous sommes livrés, plus que nous l’aurions voulu… Mais quelle importance ? Nous étions vivants et nous ne voulions surtout pas dormir… »


                                                                            Frédéric Perrot


Hambourg



Pour aller lire la revue d'Elisée Bec
https://lichen-poesie.blogspot.fr


ô nation sans pudeur

Hambourg