Les
poèmes ne nous aiment plus
ils
ne veulent plus nous aimer
ils
ne veulent plus être des poèmes
Ne
nous appelez pas, disent-ils
Nous
ne pouvons plus vous aider…
Les
poèmes ne nous aiment plus
ils
ne veulent plus nous aimer
ils
ne veulent plus être des poèmes
Ne
nous appelez pas, disent-ils
Nous
ne pouvons plus vous aider…
Source image : l’Equipe
Pour
mémoire, ce grand humaniste qu’est Alain Finkielkraut se moquait il y a déjà quelques
années de cette équipe de France « Black, black, black ». Mais ce n’était
pas un propos raciste : on l’avait mal compris, c’était juste une
blague, comme d’habitude avec l’extrême droite. Frédéric Perrot
En vue des législatives |
Vous avez bien
raison :
C’était mieux
avant !
Moi-même, il y a six mois
Je me trouvais tout différent !
Quand l’ordre
régnait,
Que l’on n’avait pas
tourné le dos à la nature et au sens commun,
Que la femme soumise
s’étonnait juste un peu parfois
De ne jamais jouir sous
les assauts hâtifs de son mari,
Tout était plus simple,
Tout était plus clair,
Le mâle blanc n’était pas
menacé,
Chacun restait à sa
place,
Nos nègres nous
respectaient et nos arabes ramassaient nos poubelles.
Désormais, ils se
revendiquent de leur religion et même de leur couleur de peau –
Quelle décadence !
Vous avez bien
raison :
C’était mieux
avant !
Le général de Gaulle
était encore vivant.
La France avait ce charme
discret des cartes postales en noir et blanc.
Comme c’était
mieux !
Inutile de vous dire
qu’il n’y a jamais en histoire de retour en arrière,
Et que le monde rêvé
dont vous parlez n’a jamais existé…
Tout était plus simple,
Tout était plus clair,
Le mâle blanc n’était pas
menacé
Et chacun avait le sens
du sacrifice…
Oh, vous êtes juste
d’affreux réactionnaires.
Et vous êtes exactement
dans l’air du temps.
Vous trouverez toujours
que la France n’est pas assez autoritaire.
Aux dernières nouvelles,
vous feignez de craindre une guerre civile
Qu’en vérité vous désirez
de tout votre être,
Tant vous avez le goût du désastre et du
sang
Le poème appartient à mon recueil inédit, Dans les marges du temps (janvier 2024). Frédéric Perrot
1 – Il était citoyen
d’un monde où les animaux s’exprimaient comme des savants et les hommes comme
des bêtes.
2 – Obstinément, ce
qu’il détruisait d’un côté, il le reconstruisait de l’autre à l’identique.
3 – Il était un
artiste habile. Il jonglait avec du sable…
4 – Il écrivait des
lettres longues comme des rêves ; non pour séduire la personne à qui il
s’adressait en apparence, mais pour la tenir à distance.
5 – Les aveux les plus
pénibles lui venaient spontanément, comme au fil de la plume. Il était de ces
écrivains qui ne conçoivent pas qu’on puisse écrire pour ne rien troubler ou ne
jamais mettre personne dans l’embarras.
6 – Il cherchait
l’amour et chaque femme lui répondait : « Que ferais-je d’un homme, qui n’est
ici que toléré ? » Étant d’une excessive timidité, il se retirait sans
rien dire. L’amour est toujours un peu trop collet monté.
7 – Sa solitude avait
des dents et des griffes. Son silence bruissait de cris. La peur était la
couleur de son imaginaire.
8 – Se révolter n’est
pas pousser des hauts cris ou porter en public le masque de l’indignation. Il
était calme et impassible. Assis à sa table de travail, il supportait sans
sourciller les assauts d’un monde hostile. Il se plaignait seulement parfois de
ses maux de tête et de son sommeil troublé. Un moment, il plaça de grands
espoirs dans l’aspirine.
9 – Il était d’une
sobriété exemplaire. Il ne supportait ni le tabac, ni les relents de bière dans
l’haleine de son père. L’ivrognerie devait lui sembler une manie allemande, une
manie de bouchers sanguinaires. Son ivresse était d’un autre ordre.
10 – Un artiste n’est
pas toujours conscient de ce qui l’amoindrit. Il détestait la musique. Il la
ressentait comme une menace… Or, rien ne devait mettre en péril les fragiles
harmoniques de son monde intérieur.
11 – Ses récits
avaient l’étrangeté du rêve, sans en avoir le débraillé.
12 – Il se cognait le
front contre des murs invisibles, qui n’existaient que dans son esprit. Mais la
douleur était bien réelle…
13 – Il était l’épi de
blé, non la faux qui le coupe. La punaise, non la botte qui l’écrase.
14 – On peut juger
préférable de ne pas se réveiller, que de se réveiller une fois de plus dans
les cris de son père.
15 – Son plus grand
tourment était son excessive sensibilité au bruit. Son invraisemblable famille,
la jeune fille qui prenait des leçons de piano dans l’appartement voisin, le
canari qui dans sa cage sifflotait sans discontinuer, la ville et l’univers tout
entier, le mettaient donc à la torture…
16 – Ne supportant ni
le mensonge, ni l’injustice, sa situation en ce monde était des plus délicates.
Il s’y sentait aussi à l’aise qu’un végétarien invité par erreur dans un
banquet où se trouvent réunis tous les bouchers du pays.
17 – Il s’était
construit une forteresse pour se protéger du monde. Une fois l’œuvre achevée,
il dut comprendre à son corps défendant qu’il en était aussi le seul
prisonnier.
18 – Il n’était pas
modeste, il était humble. Le long exercice de l’écriture rend humble. Les
faiseurs de livres n’en savent rien.
19 – Il n’ignorait
pas, comme l’avait écrit un illustre prédécesseur, que la peur est la
malédiction de l’homme. Mais peut-être faut-il plus craindre encore ceux qui ne
connaissent pas la peur ou prétendent ingénument ne pas avoir peur, de la mort
par exemple… Cela ne révèle sans doute que leur manque d’imagination.
20 – De toute sa vie,
il ne pleura que fort peu. Il ne connaissait pas le secours, le soulagement des
larmes.
21 – Il est
cruel et douloureux de voir le monde et les hommes sans aucun voile. Beaucoup
préfèrent détourner les yeux.
22 – Il était un
innocent, que le monde rendit coupable. Mais contrairement à beaucoup, il en
tira toutes les conséquences et inventait au fil des pages mille façons
astucieuses de se torturer. Parmi son héritage : des idées de supplices
insensés…
23 – Il
était le lieu d’un combat singulier : esprit hérité des Lumières, il
était aux prises avec des puissances obscures, des démons, des fantômes que la
raison néglige ou ignore…
24 – Le cauchemar est
l’une des formes de la lucidité.
25 – Le seul principe
pour concevoir un labyrinthe est qu’une vie entière ne doit pas suffire pour en
sortir.
26 – Un oiseau en cage
dont par un excès de brutalité, on a brisé les ailes.
27 – La petite fille
en pleurs dans un jardin public de Berlin, parce qu’elle a perdu sa poupée…
Pour la consoler, pendant plusieurs semaines, le vieil homme malade qu’il était
devenu écrivit des lettres où la poupée racontait à la petite fille sa vie
nouvelle dans le pays lointain où elle était partie. La petite fille rassurée
sur le sort de sa poupée bien-aimée, l’oublia peu à peu et les lettres prirent
fin. L’histoire est véridique ; contrairement à bien
d’autres…
28 – Une femme qui l’a
aimé parle de son raffinement intellectuel sans compromis et presque terrifiant
; une autre de son incapacité à accepter la moindre compromission. Ces deux témoignages
valent mieux que toute une bibliothèque sur le sujet. Une femme amoureuse ne
ment pas et ne dit que l’essentiel. Le reste est bavardage.
29 – Vivre, c’est se
compromettre. Il dut donc mourir relativement jeune.
30 – Pire que la
solitude est l’absence de toute possibilité d’être seul. Un monde de
la promiscuité, un monde de voyeurs lubriques et dans lequel la vie privée est
un concept de bourgeois compassé.
31 – L’affreuse
machine à torturer qu’il décrit dans l’un de ses récits est un exemplaire
unique et un seul condamné peut y être mis au supplice : c’est une grave
perte de temps… Des esprits plus efficaces inventeraient bientôt le supplice à
la chaîne, la mise à mort industrielle.
32 – Le pouvoir te
laisse le loisir de discuter sans fin à son propos ; ce bavardage
ininterrompu ne lui nuit en aucune façon ; il est même une des formes de ton
asservissement. Le pouvoir ne désire que ton obéissance…
33 – Les méfaits de
l’obéissance aveugle : combien de millions de morts au vingtième siècle pour en
témoigner ?
34 – Le pouvoir peut
faire attendre indéfiniment. Or, une vie humaine n’est guère plus longue que le
trajet de la feuille qui se détache de l’arbre et tombe.
35 – Ce que le pouvoir
ne pourra jamais empêcher : que l’on rie de lui, et même d’un rire
irrépressible…
36 – Il est infiniment
troublant que les cauchemars d’un seul puissent devenir la réalité plausible de
millions d’autres.
37 – À de rares
exceptions près, on quitte sa famille toujours trop tard. Et la quitter ne veut
nullement dire s’en libérer.
38 – L’essentiel :
avec obstination, patience, il écrivit pendant d’interminables nuits et parfois
à l’aube, son travail accompli, il n’en était pas mécontent.
39 – Si la fameuse et
pénible lettre dont il ne sera pas question lui avait été remise, il est fort
vraisemblable que son père ne l’aurait pas lue, comme tous ses autres écrits… Cette
lettre jamais parvenue à son véritable destinataire et que tout le monde peut
lire est une belle métaphore de la révolte des fils, qui demeure inaperçue…
40 – Ecœuré par la
ville qui l’avait vu naître, désireux de ne pas s’y enterrer vivant, un soir il
partit pour un long voyage en train. Tout se serait sans doute bien passé, si
dans le pays lointain où il allait et dont le gouvernement désirait se mousser,
au lieu de construire la plus monumentale des gares – susceptible même de faire
passer celle de New York pour une niche de chien ! – on avait au préalable
songé à installer les rails nécessaires pour s’y rendre. Lui ne se rendit
compte de rien : il s’était assoupi et son rêve de vie nouvelle s’acheva dans
un fracas de ferraille.
41 – C’était une belle
après-midi. Il s’endormit dans une chaise longue et rêva qu’un chien lui
léchait le visage. Il se réveilla avec un mouvement de frayeur et se rassura :
ce n’était que l’une des infirmières du sanatorium qui essuyait la sueur de son
front. Il lui sourit ; mais comme tout homme, il eût préféré être consolé que
rassuré.
42 – Il avait tracé
les quelques mots de son testament dans la neige devant sa maison. À sa mort,
des voisins indélicats s’emparèrent de la maison pour la mettre à sac. Quant à
son testament, il avait disparu avec les beaux jours.
Franz Kafka est mort le 3 juin 1924. Ce
texte a été publié dans le numéro 5 de la revue Népenthès (août 2012). Frédéric
Perrot.