dimanche 27 août 2023

Victor Hugo, Demain dès l'aube


 

Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,

Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.

J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.

Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

 

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,

Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,

Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,

Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

 

Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,

Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,

Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe

Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

 

                                  3 septembre 1847

 

 

Il aura été beaucoup question de Victor Hugo, cette semaine, sur France Culture. Frédéric Perrot


mercredi 23 août 2023

L'angoisse (poème de Paul Verlaine)


 

Nature, rien de toi ne m’émeut, ni les champs

Nourriciers, ni l’écho vermeil des pastorales

Siciliennes, ni les pompes aurorales,

Ni la solennité dolente des couchants.

 

Je ris de l’Art, je ris de l’Homme aussi, des chants,

Des vers, des temples grecs et des tours en spirales

Qu’étirent dans le ciel vide les cathédrales,

Et je vois du même œil les bons et les méchants.

 

Je ne crois pas en Dieu, j’abjure et je renie

Toute pensée, et quant à la vieille ironie,

L’Amour, je voudrais bien qu’on ne m’en parlât plus.

 

Lasse de vivre, ayant peur de mourir, pareille

Au brick perdu jouet du flux et du reflux,

Mon âme pour d’affreux naufrages appareille.


jeudi 17 août 2023

Maurice Blanchot, Thomas l'obscur (premier chapitre)


 

    Thomas s’assit et regarda la mer. Pendant quelque temps il resta immobile, comme s’il était venu là pour suivre les mouvements des autres nageurs et, bien que la brume l’empêchât de voir très loin, il demeura, avec obstination, les yeux fixés sur ces corps qui flottaient difficilement. Puis, une vague plus forte l’ayant touché, il descendit à son tour sur la pente de sable et glissa au milieu des remous qui le submergèrent aussitôt. La mer était tranquille et Thomas avait l’habitude de nager longtemps sans fatigue. Mais aujourd’hui il avait choisi un itinéraire nouveau. La brume cachait le rivage. Un nuage était descendu sur la mer et la surface se perdait dans une lueur qui semblait la seule chose vraiment réelle. Des remous le secouaient, sans pourtant lui donner le sentiment d’être au milieu des vagues et de rouler dans des éléments qu’il aurait connus. La certitude que l’eau manquait, imposait même à son effort pour nager le caractère d’un exercice frivole dont il ne retirait que du découragement. Peut-être lui eût-il suffi de se maîtriser pour chasser de telles pensées, mais ses regards ne pouvant s’accrocher à rien, il lui semblait qu’il contemplait le vide dans l’intention d’y trouver quelque secours. C’est alors que la mer, soulevée par le vent, se déchaîna. La tempête la troublait, la dispersait dans des régions inaccessibles, les rafales bouleversaient le ciel et, en même temps, il y avait un silence et un calme qui laissaient penser que tout était déjà détruit. Thomas chercha à se dégager du flot fade qui l’envahissait. Un froid très vif lui paralysait les bras. L’eau tournait en tourbillons. Était-ce réellement de l’eau ? Tantôt l’écume voltigeait devant ses yeux comme des flocons blanchâtres, tantôt l’absence de l’eau prenait son corps et l’entraînait violemment. Il respira plus lentement, pendant quelques instants il garda dans la bouche le liquide que les rafales lui poussaient contre la tête : douceur tiède, breuvage étrange d’un homme privé de goût. Puis, soit à cause de la fatigue, soit pour une raison inconnue, ses membres lui donnèrent la même sensation d’étrangeté que l’eau dans laquelle ils roulaient. Cette sensation lui parut d’abord presque agréable. Il poursuivait, en nageant, une sorte de rêverie dans laquelle il se confondait avec la mer. L’ivresse de sortir de soi, de glisser dans le vide, de se disperser dans la pensée de l’eau, lui faisait oublier tout malaise. Et même, lorsque cette mer idéale qu’il devenait toujours plus intimement fut devenue à son tour la vraie mer où il était comme noyé, il ne fut pas aussi ému qu’il aurait dû l’être : il y avait sans doute quelque chose d’insupportable à nager ainsi à l’aventure avec un corps qui lui servait uniquement à penser qu’il nageait, mais il éprouvait aussi un soulagement, comme s’il eût enfin découvert la clé de la situation et que tout se fût borné pour lui à continuer avec une absence d’organisme dans une absence de mer son voyage interminable. L’illusion ne dura pas. Il lui fallut rouler d’un bord sur l’autre, comme un bateau à la dérive, dans l’eau qui lui donnait un corps pour nager. Quelle issue ? Lutter pour ne pas être emporté par la vague qui était son bras ? Être submergé ? Se noyer amèrement en soi ? C’eût été certes le moment de s’arrêter, mais un espoir lui restait, il nagea encore comme si au sein de son intimité restaurée il eût découvert une possibilité nouvelle. Il nageait, monstre privé de nageoires. Sous le microscope géant, il se faisait amas entreprenant de cils et de vibrations. La tentation prit un caractère tout à fait insolite, lorsque de la goutte d’eau il chercha à se glisser dans une région vague et pourtant infiniment précise, quelque chose comme un lieu sacré, à lui-même si bien approprié qu’il lui suffisait d’être là, pour être ; c’était comme un creux imaginaire où il s’enfonçait parce qu’avant qu’il y fût, son empreinte y était déjà marquée. Il fit donc un dernier effort pour s’engager totalement. Cela fut facile, il ne rencontrait aucun obstacle, il se rejoignait, il se confondait avec soi en s’installant dans ce lieu où nul autre ne pouvait pénétrer.

      Finalement il dut revenir. Il trouva aisément le chemin du retour et prit pied à un endroit qu’utilisaient quelques nageurs pour plonger. La fatigue avait disparu. Dans les oreilles il gardait une impression de bourdonnement et de brûlure dans les yeux, comme il fallait s’y attendre après un trop long séjour dans l’eau salée. Il s’en rendait compte lorsque, se tournant vers la nappe sans fin sur laquelle se reflétait le soleil, il essayait de reconnaître dans quelle direction il s’était éloigné. Il avait alors un véritable brouillard devant la vue et il distinguait n’importe quoi dans ce vide trouble que ses regards perçaient fiévreusement. A force d’épier, il découvrit un homme qui nageait très loin, à demi perdu sous l’horizon. A une pareille distance, le nageur lui échappait sans cesse. Il le voyait, ne le voyait plus et pourtant avait le sentiment de suivre toutes ses évolutions : non seulement de le percevoir toujours très bien, mais d’être rapproché de lui d’une manière tout à fait intime et comme il n’aurait pu l’être davantage par aucun autre contact. Il resta longtemps à regarder et à attendre. Il y avait dans cette contemplation quelque chose de douloureux qui était comme la manifestation d’une liberté trop grande, d’une liberté obtenue par la rupture de tous les liens. Son visage se troubla et prit une expression inusitée.      

 

mardi 15 août 2023

Arthur Rimbaud, L’Éternité

 

Elle est retrouvée.

Quoi ? – L’Éternité.

C’est la mer allée

Avec le soleil. 

 

Âme sentinelle,

Murmurons l’aveu

De la nuit si nulle

Et du jour en feu.

 

Des humains suffrages,

Des communs élans

Là tu te dégages

Et voles selon.

 

Puisque de vous seules,

Braises de satin,

Le Devoir s’exhale

Sans qu’on dise : enfin.

 

Là pas d’espérance,

Nul orietur.

Science avec patience,

Le supplice est sûr. 

 

Elle est retrouvée.

Quoi ? – L’éternité.

C’est la mer allée

Avec le soleil.

 

 

                         Mai 1872

                              

jeudi 10 août 2023

Franz Kafka, Journal (notes au fil de la lecture, 1917-1922)

 

« (38) Quelqu’un s’étonnait de parcourir si facilement le chemin de l’éternité : en effet, il le dévalait à fond de train. »

 

« (41) Pour notre consolation, la disproportion du monde semble n’être que d’ordre numérique. »

 

« (52) Dans le combat entre toi et le monde, seconde le monde. »

 

« (67) Il court après les faits comme un débutant dans l’art du patinage qui, par-dessus le marché, s’entraînerait dans un endroit interdit. »

 

« (69) Théoriquement, il existe une possibilité de bonheur parfait : croire à ce qu’il y a d’indestructible en soi et ne pas s’efforcer de l’atteindre. »

 

« Les soucis dont le privilégié allègue le fardeau pour s’excuser aux yeux de l’opprimé sont précisément les soucis liés au maintien de son privilège. »

 

« (80) La vérité est indivisible, par suite elle ne peut pas se connaître elle-même ; qui prétend la connaître est nécessairement mensonge. »

 

« L’art vole autour de la vérité, mais avec la volonté bien arrêtée de ne pas se brûler. Son talent consiste à trouver dans le vide obscur un lieu où, sans qu’on ait pu le savoir auparavant, les rayons lumineux peuvent être puissamment interceptés. »

 

« (88) La mort est devant nous un peu comme un tableau représentant la bataille d’Alexandre au mur d’une salle de classe. Il s’agit dans cette vie même d’obscurcir, voire d’effacer cette image par nos actes. »

 

« Le suicidé est le prisonnier qui, voyant qu’on dresse une potence dans la cour de la prison, croit à tort qu’elle lui est destinée, s’échappe de sa cellule en pleine nuit, descend et se pend lui-même. »

 

« L’homme contemplatif est en un certain sens celui qui vit avec le monde, il s’accroche aux choses vivantes, il essaie d’aller du même pas que le vent. C’est cela que je ne veux pas être. »

 

« (103) Tu peux t’abstenir des souffrances du monde, tu es libre de le faire et cela répond à ta nature ; mais cette abstention est peut-être précisément la seule souffrance que tu puisses éviter. »

 

« L’évolution humaine – une croissance de la puissance de mort. »

 

« Il n’est pas nécessaire que tu sortes de ta maison. Reste à ta table et écoute. N’écoute même pas, attends seulement. N’attends même pas, sois absolument silencieux et seul. Le monde viendra s’offrir à toi pour que tu le démasques, il ne peut faire autrement, extasié, il se tordra devant toi. »  

 

« Le chemin vers mon prochain est très long pour moi. »

 

« On lui a découpé dans le derrière de la tête un morceau de crâne affectant la forme d’un segment. Avec le soleil, le monde entier regarde à l’intérieur. Cela le rend nerveux, le distrait de son travail et il se fâche de devoir, lui précisément, être exclu du spectacle. »

 

« Il a trouvé le point d’Archimède, mais l’a utilisé contre lui-même, c’est manifestement à cette seule condition qu’il a été autorisé à le trouver. »

 

« Certains nient la détresse en se référant au soleil, il nie le soleil en se référant à la détresse. »

 

« Tout lui est permis, sauf l’oubli de soi-même ; par quoi il est vrai tout lui est encore interdit, à part ce qui est momentanément nécessaire à l’ensemble. »

 

« La vie est une perpétuelle distraction qui ne vous laisse même pas prendre conscience de ce dont elle distrait. »

 

« Que même le plus conservateur des hommes ait de quoi faire face au radicalisme de la mort ! »

 

« On peut constater combien le cercle de la vie est grand à ceci, d’une part, que l’humanité déborde de discours du plus loin qu’elle se souvienne, et que, d’autre part, le discours n’est possible que là où l’on veut mentir. »

 

« Quand j’ai le violent désir d’être un athlète léger, c’est probablement comme si je désirais entrer au ciel pour avoir le droit d’y être aussi désespéré qu’ici. »

 

« La jeunesse éternelle est impossible, même s’il n’y avait pas d’autre obstacle, l’introspection s’y opposerait. »

 

 


Franz Kafka, Journal

Traductions par Marthe Robert, Claude David et Jean-Pierre Danès.

Les fragments numérotés appartiennent à ce que l’on nomme les « aphorismes » de Kafka.  

mardi 8 août 2023

Pete Doherty, The fantasy life of poetry and crime (pour Matthieu)



Bells, they chime
Bells, they chime in time
To a vicious low whine of a chainsaw’s grind
In the summertime

There is a coppery taste
A gun in your face
High plains drift, sly shapes shift across the Maritime

In the estuary
There’s a clue to find
In the fantasy life of poetry and crime
Haute-Normandie and Seine-Maritime
In the fantasy life of poetry and crime

Je suis ici
Can you follow me?
Oh, sorrowful me
Have I begun this too weirdly ?

Sweet mystеry and a clue to find
In the fantasy life of poеtry and crime
Unknowingly
I’m lost in space and time
In the fantasy life of poetry and crime

Je suis ici
Can you follow me ?
Do you read me ?
Have I begun this too weirdly ?

In the estuary
Oh, there’s a clue to find
In the fantasy life of poetry and crime
Haute Normandie and Seine-Maritime
In the fantasy life of poetry and crime

Bells they chime
Bells they chime in time
A vicious low whine of a chainsaw’s grind in the summertime
Bells they chime

 

Pour écouter la chanson de Pete Doherty et Frédéric Lo :

 https://youtu.be/NvfMDXz-RTg