« (38)
Quelqu’un s’étonnait de parcourir si facilement le chemin de l’éternité :
en effet, il le dévalait à fond de train. »
« (41)
Pour notre consolation, la disproportion du monde semble n’être que d’ordre
numérique. »
« (52)
Dans le combat entre toi et le monde, seconde le monde. »
« (67)
Il court après les faits comme un débutant dans l’art du patinage qui, par-dessus
le marché, s’entraînerait dans un endroit interdit. »
« (69)
Théoriquement, il existe une possibilité de bonheur parfait : croire à ce
qu’il y a d’indestructible en soi et ne pas s’efforcer de l’atteindre. »
« Les
soucis dont le privilégié allègue le fardeau pour s’excuser aux yeux de l’opprimé
sont précisément les soucis liés au maintien de son privilège. »
« (80)
La vérité est indivisible, par suite elle ne peut pas se connaître elle-même ;
qui prétend la connaître est nécessairement mensonge. »
« L’art
vole autour de la vérité, mais avec la volonté bien arrêtée de ne pas se
brûler. Son talent consiste à trouver dans le vide obscur un lieu où, sans qu’on
ait pu le savoir auparavant, les rayons lumineux peuvent être puissamment interceptés. »
« (88)
La mort est devant nous un peu comme un tableau représentant la bataille d’Alexandre
au mur d’une salle de classe. Il s’agit dans cette vie même d’obscurcir, voire
d’effacer cette image par nos actes. »
« Le
suicidé est le prisonnier qui, voyant qu’on dresse une potence dans la cour de
la prison, croit à tort qu’elle lui est destinée, s’échappe de sa cellule en pleine
nuit, descend et se pend lui-même. »
« L’homme
contemplatif est en un certain sens celui qui vit avec le monde, il s’accroche
aux choses vivantes, il essaie d’aller du même pas que le vent. C’est cela que
je ne veux pas être. »
« (103)
Tu peux t’abstenir des souffrances du monde, tu es libre de le faire et cela
répond à ta nature ; mais cette abstention est peut-être précisément la
seule souffrance que tu puisses éviter. »
« L’évolution
humaine – une croissance de la puissance de mort. »
«
Il n’est pas nécessaire que tu sortes de ta maison. Reste à ta table et écoute.
N’écoute même pas, attends seulement. N’attends même pas, sois absolument
silencieux et seul. Le monde viendra s’offrir à toi pour que tu le démasques,
il ne peut faire autrement, extasié, il se tordra devant toi. »
« Le
chemin vers mon prochain est très long pour moi. »
« On
lui a découpé dans le derrière de la tête un morceau de crâne affectant la forme
d’un segment. Avec le soleil, le monde entier regarde à l’intérieur. Cela le
rend nerveux, le distrait de son travail et il se fâche de devoir, lui
précisément, être exclu du spectacle. »
« Il
a trouvé le point d’Archimède, mais l’a utilisé contre lui-même, c’est
manifestement à cette seule condition qu’il a été autorisé à le trouver. »
« Certains
nient la détresse en se référant au soleil, il nie le soleil en se référant à
la détresse. »
« Tout
lui est permis, sauf l’oubli de soi-même ; par quoi il est vrai tout lui
est encore interdit, à part ce qui est momentanément nécessaire à l’ensemble. »
« La
vie est une perpétuelle distraction qui ne vous laisse même pas prendre conscience
de ce dont elle distrait. »
« Que
même le plus conservateur des hommes ait de quoi faire face au radicalisme de
la mort ! »
« On
peut constater combien le cercle de la vie est grand à ceci, d’une part, que l’humanité
déborde de discours du plus loin qu’elle se souvienne, et que, d’autre part, le
discours n’est possible que là où l’on veut mentir. »
« Quand
j’ai le violent désir d’être un athlète léger, c’est probablement comme si je
désirais entrer au ciel pour avoir le droit d’y être aussi désespéré qu’ici. »
« La
jeunesse éternelle est impossible, même s’il n’y avait pas d’autre obstacle, l’introspection
s’y opposerait. »
Franz
Kafka, Journal
Traductions
par Marthe Robert, Claude David et Jean-Pierre Danès.
Les
fragments numérotés appartiennent à ce que l’on nomme les « aphorismes »
de Kafka.
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