Un matin, de très bonne heure,
Martin fut réveillé par le bruit strident de sa sonnette. Il ouvrit les yeux
dans l’obscurité, se tourna dans le lit et en pestant contre le sinistre
imbécile qui venait le déranger à une heure pareille, il agrippa d’une main le
bord de l’oreiller comme un homme bien décidé à se rendormir aussitôt : il
n’avait rien entendu, il se rendormait déjà, il allait retrouver la jeune fille
dont il serrait la taille dans son rêve…
A ce moment, la sonnette
retentit à nouveau, mais ce ne fut pas un coup bref comme la première
fois : le bruit au contraire ne cessait plus, il se prolongeait
indéfiniment, monotone et strident ; c’était un bruit simplement
insupportable et au fur et à mesure qu’il se prolongeait il devenait évident
que celui qui s’était mis en tête de le réveiller ne cesserait pas d’appuyer
sur la sonnette tant qu’il n’aurait pas atteint son but ; et comme il
était désormais impossible de passer outre et comme le bruit lui cassait les oreilles, il se leva en maugréant, enfila en toute hâte un
caleçon et ayant trouvé à tâtons l’interrupteur du couloir, il alluma la
lumière et tout en criant pour qu’enfin cesse ce vacarme, il ouvrit sa porte…
Mais la seule portion du
couloir qui était éclairée étant celle qui se trouvait juste face à sa porte,
il ne vit d’abord personne et légèrement décontenancé, il fit un pas à
l’extérieur et appuya sur l’interrupteur situé juste à côté de sa sonnette
dont, il ne s’en avisa qu’à cet instant, le bruit avait cessé…
En face de lui, juché sur un
escabeau appuyé contre le mur du couloir, le doigt encore tendu vers la
sonnette, se tenait très droit un tout petit homme qui ne devait pas mesurer
plus d’un mètre et qui son visage tourné vers lui, souriait d’une façon affreuse
et en ouvrant démesurément la bouche. Martin songea que la journée commençait mal... Qui était ce lilliputien, ce gnome, ce phénomène de
foire ? Et que lui voulait-il ?
« J’ai dû me hisser sur
cet engin pour atteindre votre sonnette, dit le petit homme au bout d’un moment
et en désignant du doigt l’escabeau, vous comprenez, à cause de ma
taille…»
Et en disant cela, le petit
homme sortit d’une poche de sa veste – une veste d’une coupe démodée et d’un
vert hideux – un large mouchoir de tissu rouge avec lequel il essuya les
quelques gouttes de sueur qui perlaient à son front.
« Oui, pour les gens
comme nous, tout est un effort, dit-il encore en descendant prudemment les
trois marches de l’escabeau. Enfin, il vaut mieux être un petit homme qu’un homme
petit…»
Et ayant prononcé ces paroles,
il éclata de rire, comme soudain mis en joie par ce bon mot. Son rire était non moins affreux que son sourire et
rendait encore plus éprouvante la laideur de son visage que la maladie avait
marqué… Son rire lui donnait les airs effrayants d’une de ces gargouilles
grimaçantes dont le corps diabolique semble surgir de la pierre ; et malgré
lui, Martin détourna le regard afin d’échapper à la pénible vision de ce visage
déformé par cet irrépressible éclat de rire qui – à considérer ce qui l’avait
provoqué – paraissait également tout à fait disproportionné…
Eric Doussin |
Le texte est la première page d'une nouvelle écrite en 2005, Le piège.
Frédéric Perrot