vendredi 26 novembre 2021

Les machines à illusions (pour François)

 


Nos rêves sont enfin aussi beaux

Que des images de synthèse

Nous n’avons plus des rêves de pauvres

Ou de quidams en proie à leurs problèmes

Leurs désirs leurs échecs

 

Bâtisseurs de labyrinthes

Nous sommes des rêveurs d’élite

Tueurs automatiques dans des tours au Bengale

Amants fatals chevauchant

Dans des multivers analogiques

 

Fols dépeceurs de trous noirs

Comparés aux générations précédentes

Nous avons le privilège insigne

D’être reliés à nos jeux et à nos machines

Jusque dans notre sommeil amniotique

 

 

 

Les machines à illusions est le titre d’un roman de Philip K. Dick. Le poème appartient au recueil autoédité Les Fontaines jaillissantes (avril 2021). Frédéric Perrot.


jeudi 25 novembre 2021

Révolte (un poème de Cesare Pavese)


 

Le mort est crispé contre terre et ses yeux ne voient pas

       les étoiles :

ses cheveux sont collés au pavé. La nuit est plus froide.

Les vivants rentrent à la maison et en tremblent encore.

On ne peut pas les suivre ; ils se dispersent tous :

l’un monte un escalier, l’autre va à la cave.

Certains marchent jusqu’à l’aube et se jettent dans un

       pré,

en plein soleil. Demain en travaillant, il y en a

qui auront un rictus de désespoir. Puis ça aussi passera.

 

Quand ils dorment, ils sont pareils au mort : s’il y a une

       femme,

les odeurs sont plus lourdes mais on dirait des morts.

Chaque corps se cramponne, crispé, à son lit

comme au rouge pavé : la longue peine

qui dure depuis l’aube vaut bien une brève agonie.

Sur chaque corps s’englue une obscurité sale.

Seul de tous, le mort est étendu aux étoiles.

 

Il a aussi l’air mort cet amas de haillons

appuyé au muret, que brûle le soleil.

C’est faire confiance au monde que dormir dans la rue.

Entre les haillons pointe une barbe que parcourent

des mouches affairées ; les passants vont et viennent dans

       la rue,

comme des mouches ; le clochard est un fragment de rue.

La misère, comme une herbe, recouvre de barbe

les rictus et donne un air tranquille. Ce vieux-là

qui aurait pu mourir crispé dans son sang

a l’air au contraire d’une chose et il vit.

Ainsi, à part le sang, chaque chose est un fragment de rue.

Et pourtant, les étoiles ont vu du sang dans la rue.

 

 

Cesare Pavese, Travailler fatigue

Traduction de Gilles de Van.

  

 

lundi 22 novembre 2021

Oiseleur

Eric Doussin, Oiseleur (22/10/2015)

 

Pour Rachel,

 

Dans l’un de ses romans
Honoré de Balzac
Salue la patience et la ruse
Grâce auxquelles les oiseleurs
Saisissent les oiseaux
Les plus défiants
 
Telle est mon enseigne
La phrase écrite en lettres rouges
Au front de ma boutique
Patient et rusé
Je le suis
Jamais je ne lâche une proie
Avant qu’elle ne soit
Ma captive
 
J’aime les espèces rares
Et par principe néglige
Tout ce qui est commun
Les ignobles pigeons
Les rouges-gorges les moineaux
Dont abusent des concurrents
Moins scrupuleux
Que moi
 
Il est vrai que je préfère
Les oiseaux nocturnes
Et mes chasses utilement m’occupent
Pendant les sombres heures
De mes insomnies
 
Dans mes rêves
J’attrape des oiseaux que je ne verrai jamais
Les harfangs
Ces reines blanches
Des régions enneigées
 
Partir m’est impossible
Je ne peux négliger mon commerce
Ma boutique
 
Et certains soirs
Ivre de rancœur
Mélancolique
 
Je songe à des massacres
D’une plus grande ampleur
Que dans ma pratique

  

        Le poème appartient au recueil autoédité Les Fontaines jaillissantes (avril 2021). Frédéric Perrot.
   

dimanche 21 novembre 2021

Elle était déchaussée, elle était décoiffée (un poème de Victor Hugo)


 

Elle était déchaussée, elle était décoiffée,

Assise, les pieds nus, parmi les joncs penchants ;

Moi qui passais par-là, je crus voir une fée,

Et je lui dis : Veux-tu t’en venir dans les champs ?

 

Elle me regarda de ce regard suprême

Qui reste à la beauté quand nous en triomphons,

Et je lui dis : Veux-tu, c’est le mois où l’on aime,

Veux-tu nous en aller sous les arbres profonds ?

 

Elle essuya ses pieds à l’herbe de la rive ;

Elle me regarda pour la seconde fois,

Et la belle folâtre alors devint pensive.

Oh ! comme les oiseaux chantaient au fond des bois !

 

Comme l’eau caressait doucement le rivage !

Je vis venir à moi, dans les grands roseaux verts,

La belle fille heureuse, effarée et sauvage,

Ses cheveux dans ses yeux, et riant au travers.

 

 

Source image : Gallimard

mercredi 17 novembre 2021

Mercredis de la poésie (premier décembre)

Maison natale de Paul Appell

 

Dans le cadre des mercredis de la poésie, le F.E.C. a le plaisir de vous inviter à découvrir deux plumes : Sylvie Villaume plasticienne et auteur et Barbara Digot-Frieden poétesse. À la fin de leurs présentations elles dédicaceront leurs livres respectifs.

 

Sylvie Villaume

Barbara Digot-Frieden

 

Mercredi premier décembre à 18h30.

F.E.C. 17 place Saint-Etienne

 

vendredi 12 novembre 2021

Un feu distinct... (un poème de Paul Valéry)

 




Un feu distinct m’habite, et je vois froidement

La violente vie illuminée entière…

Je ne puis plus aimer seulement qu’en dormant

Ses actes gracieux mélangés de lumière.

 

Mes jours viennent la nuit me rendre des regards,

Après le premier temps de sommeil malheureux ;

Quand le malheur lui-même est dans le noir épars

Ils reviennent me vivre et me donner des yeux.

 

Que si leur joie éclate, un écho qui m’éveille

N’a rejeté qu’un mort sur ma rive de chair,

Et mon rire étranger suspend à mon oreille,

 

Comme à la vide conque un murmure de mer,

Le doute, – sur le bord d’une extrême merveille,

Si je suis, si je fus, si je dors ou je veille ?


jeudi 11 novembre 2021

Publication de Scènes de chasse sur le site Le Monde de Poetika

 

Je remercie Chris Talazac pour la publication de mon poème Scènes de chasse sur son site Le Monde de Poetika. Sur le thème de la « Guerre », en ce 11 novembre, cela semble particulièrement approprié.

 

Un grand merci également à l’ami Eric Doussin pour le dessin accompagnant le poème et son portrait si ressemblant ! Frédéric Perrot

 

Pour voir la publication :

http://www.poetika17.com/poemes/Frederic-Perrot-scenes-de-chasse.html

      

mardi 9 novembre 2021

Semana Santa (Dominique A)

 



Une femme fumait au seuil d’une boutique

Guettant la procession à l’angle de la rue

Main sur la hanche gauche, elle attendait mutique

Au soleil, elle semblait par son ombre tenue

 

C’était un jour d’avril ; sur le sol en damier

Des vieilles devisaient ; autour, des enfants

Couraient après des chats et l’odeur de l’encens

Montait, lourde, à la tête et faisait suffoquer

 

La musique pleurait en agitant ses chaînes

Mimait la pénitence et des larmes de sang

Epaisses lui échappaient et couraient sur ses flancs

Brûlant de ranimer les douleurs anciennes

 

Les vagues remuaient des histoires lointaines

Où des bateaux gavés d’or hantaient l’océan

Et la femme fumait, et l’odeur de l’encens

Montait, lourde, en son âme où cliquetaient des chaînes

 

Semana Santa

 

 

La chanson figure sur l’album de Dominique A, Eléor (2015).


Pour écouter la chanson :

https://youtu.be/ZQvw_i1ttic


dimanche 7 novembre 2021

Sur Lover Lover Lover de Leonard Cohen

 

    Le charme de la ritournelle

 

Si le sens général de la chanson reste pour moi assez mystérieux, j’aime l’idée du dialogue entre un fils et son père. C’est un récit, une fiction. Le fils est peut-être un soldat. Il veut changer de « nom », il interpelle son père à ce sujet, car celui qu’il « porte » est « recouvert » de « peur », de « saleté », de « lâcheté » et de « honte ». Le fils voudrait renaître, si je puis dire, dans un autre corps et avec une autre personnalité, un « visage » « juste » « cette fois » et « un esprit » « calme ». Le père qui l’a « verrouillé » dans « ce corps », lui suggère qu’il peut au choix « l’utiliser comme une arme » « ou pour faire sourire quelques femmes ». On notera en passant l’irone discrète de ce conseil paternel si libéral ! Le père semble à la fin se justifier (« Je ne me suis jamais détourné », « Je ne suis jamais parti ») et laisse entendre à son fils qu’il est libre et qu’il n’a plus besoin de lui depuis longtemps. C’est lui le fils qui a « construit le temple » et qui a « recouvert » le « visage » du père. À ce moment, la chanson peut faire songer à Story of Isaac, sur le second album de Cohen, où le mythe d’Abraham est raconté du point de vue du fils, celui que l’on s’apprête à sacrifier au sommet d’une colline… Dans le contexte historique précis où elle est écrite – la guerre du Sinaï, « pour les égyptiens et les israélites » – la dernière strophe reste ouverte et peut sembler un appel ambigu à la paix : « Puisse l’esprit de cette chanson » « s’élever » « pur et libre ». « Puisse-t-il être pour toi » « un bouclier contre l’ennemi ». Je ne dirai rien du refrain, si simple, si beau, si mémorable, qui me paraît établir le contraste avec la noirceur des couplets et participe au charme toujours renouvelé de la chanson, de la ritournelle !

 

                                           Le texte a été écrit en janvier 2017. Frédéric Perrot

 

Pour regarder la vidéo à l’origine du texte :

    https://youtu.be/NfqNb28z-Hk

I said this can't be me/Must be my double (Pixies, I can't forget, Leonard Cohen cover)

mercredi 3 novembre 2021

SIVA (un extrait du roman de Philip K. Dick, pour René)


 

« La réalité, c’est ce qui refuse de disparaître quand on cesse d’y croire. » (Philip, K. Dick)

 

 

Contrairement aux mythes répandus dans les romans, il ne se passe pas grand-chose dans un service psychiatrique. Les malades ne dominent pas vraiment le personnel, et le personnel n’est pas vraiment en train de tuer les malades. Pour l’essentiel, on lit ou on regarde la télé, ou on reste assis à cloper, ou on essaie de s’allonger sur une banquette et de dormir, ou on boit du café, ou on joue aux cartes, ou on marche, et trois fois par jour on mange sur un plateau. C’est l’arrivée des plateaux qui marque le passage des heures. En fin de journée, les visiteurs débarquent et ils ont toujours le sourire aux lèvres. Les pensionnaires d’un établissement psychiatrique se demandent toujours pourquoi les gens qui viennent de l’extérieur ont le sourire. Pour moi, ça reste un mystère.

Les médicaments sont distribués parcimonieusement, à intervalles irréguliers, dans de petits gobelets de carton. Tout le monde a droit à sa dose de Thorazine plus quelque chose d’autre. Ils ne vous disent pas quoi, mais ils restent là à vous regarder pour s’assurer que vous avalez vos pilules. Parfois, les infirmières s’emmêlent les pédales et apportent le même plateau de médicaments deux fois de suite. Les malades leur expliquent qu’ils ont déjà pris leurs remèdes il y a dix minutes, mais ça ne fait rien, elles les leur refilent quand même. L’erreur n’est découverte qu’en fin de journée, et le personnel refuse d’en discuter avec les patients, lesquels trimbalent dans leur organisme le double de la dose de Thorazine qu’ils sont censés avoir.

Je n’ai jamais rencontré un interné, pas même chez les paranos, qui pense que cette double distribution fasse partie d’une tactique délibérée d’abrutissement des malades. Il est visible que les infirmières sont des connes. Elles ont déjà assez de mal à distinguer qui est qui parmi les patients et à distribuer correctement les gobelets. C’est que la population d’un service ne cesse de changer ; des nouveaux arrivent et les anciens sont relâchés. Le vrai danger, dans un service psychiatrique, est qu’on admette par erreur quelqu’un qui a flippé à la P.C.P. La politique de nombreux hôpitaux psychiatriques consiste à refuser les utilisateurs de P.C.P. et à obliger la police à se charger d’eux. Personne n’a envie de s’occuper d’un type qui marche à la P.C.P., et ça se comprend. Les journaux sont remplis d’histoires de dingues de la P.C.P., qui, une fois bouclés, ont sectionné le nez de quelqu’un d’un coup de dents ou se sont arraché les yeux.

 

 

P.C.P. Abréviation de la phencyclidine. Il s’agit à l’origine d’un anesthésique qui, répandu sur une feuille de menthe ou de cannabis, constitue la préparation connue sous le nom d’angel dust.  

 

Siva, roman de Philip K. Dick

Traduit de l’américain par Robert Louit.

 

Une autre publication sur Philip K. Dick :   

https://beldemai.blogspot.com/2019/05/sur-le-maitre-du-haut-chateau-de-philip_5.html


Jardin secret

 

                                           Les souvenirs sont cors de chasse

                                      Dont meurt le bruit parmi le vent

                                                      Guillaume Apollinaire, Cors de chasse

 

 

En mon jardin secret

Comme dans une chanson de John Cale

Il pleut du Beaujolais sur les Champs-Élysées

 

Les lieux les noms et les époques

Se confondent dans un clignement d’œil

Ou peut-être une larme

 

Et des chiens courent sur la plage de Scheveningen

À Athènes pour la première fois je vois des orangers

 

Et le ciel mauve d’Avignon

Se dissipant

C’est l’Andalousie

Un rêve de désert en Tunisie

Et les rouges coquelicots

D’une île danoise

Par une après-midi

Heureuse

À vélo…

 

En mon jardin secret

Comme dans une chanson de John Cale

                  

Les lieux les noms et les couleurs

Se confondent

Dans un clignement d’œil

Ou peut-être une larme

 

 

Le poème appartient au recueil autoédité Les heures captives (décembre 2012). La chanson de John Cale évoquée est Paris 1919, sur l’album éponyme. Frédéric Perrot.

 

Pour écouter la chanson de John Cale :

 https://beldemai.blogspot.com/2019/04/centenaire-imaginaire-john-cale-paris.html

mardi 2 novembre 2021

Féérie insomniaque

 

Musée d'Art Moderne de Strasbourg

Tes efforts demeurent lettres mortes. L’amour a fui au fil de l’eau. Semblable rêve n’est plus possible.

À errer entre tes quatre murs, la tête vide et le corps douloureux, tu crois te souvenir d’un prénom murmuré ayant la saveur d’un printemps qui s’annonce, d’une peau fine couleur de désert qu’un frisson parcoure, d’un bras à l’abandon sur le bord d’un drap froissé, de deux yeux qui se ferment lentement dans l’étreinte.

Dans un escalier laissant une impression de blancheur, tu rencontres une femme. Sa chevelure noire tombe sur ses larges épaules, elle a la peau mate, son cou est ridé, et en gravissant à pas lents les marches en faux marbre blanc, tu es sensible au vif éclat de sa robe dont la frange sombre dans la poussière s’étale. Sans prononcer un mot et comme si cela allait de soi, tu t’approches, l’enlaces et commences à l’embrasser à pleine bouche en la poussant sans violence contre le mur du palier. Mais tandis que tu l’embrasses, son visage change, il se déforme sous tes yeux, il devient autre et tu t’écartes légèrement. Tu ne ressens aucune peur alors que ses traits se convulsent sous ton regard, et sans brusquerie aucune, d’un geste presque las, tu lui donnes un coup pour faire tomber sa tête de son torse. La tête se décroche tout naturellement, comme si elle n’était que posée et tu dois te pencher au-dessus de la rampe de l’escalier pour la voir tomber au milieu d’un tas de chiffons et d’autres saletés.

Le couloir est sombre et deux filles dont ton dernier amour en date, à ton approche s’enfuient en riant. Tu n’ignores pas ce à quoi elles étaient occupées dans l’ombre complice et aveuglé par la jalousie, ton cœur battant dans ta poitrine à te faire mal, tu te lances à leur poursuite. Tu les retrouves serrées l’une contre l’autre dans l’angle formé par de hauts murs dont le plâtre s’écaille, et à les regarder sans souffler mot, un instant elles te font songer à deux enfants grelottants qui égarés dans une tempête de neige se soutiennent. Ce n’est qu’une vision fugitive et sans fondement. Leurs visages proches à se toucher comme deux masques grimaçants, elles rient de te voir si pâle, tremblant de rage impuissante. Les mots de réconciliation que tu souhaiterais prononcer s’étranglent dans ta gorge et tu sens tes bras retomber comme après un immense effort. Bouleversé, tu pousses une porte et te retrouves dans une vaste salle éclairée où se prépare une fête dont tu ne tardes pas à comprendre le genre. Tu es surpris d’y rencontrer nombre de tes amis et de leur hâte à se déshabiller comme les autres. Conscient de ton ridicule, tu erres parmi les convives, ne sachant où poser ton regard et devant parfois retenir un rire nerveux. Tu n’as qu’un désir : t’en aller, partir… Mais une jeune femme qui comme toi porte encore tous ses vêtements et dont tu n’es pas certain qu’elle ne te prenne pas pour un autre, accourt à ta rencontre en fendant la foule qui se presse autour de deux corps gigotant sur le sol. Elle roule de grands yeux apeurés et son fin visage est tordu par la souffrance. Pris au dépourvu, tu la serres dans tes bras. À demi-mots, elle te fait comprendre qu’un homme de la soirée en a après ses longs cheveux noirs : par jeu ou par vice, il veut les lui couper, et cela ne l’amuse pas, cela ne l’amuse plus… Elle te demande de demeurer auprès d’elle. Veut-elle quitter la soirée ? Tu l’assures que tu peux la raccompagner : tu n’es pas ici à ta place, comme tu ne l’es nulle part… Elle s’y refuse pour quelque raison obscure et disparaît dans une pièce attenante. Harcelé par un scrupule qui n’a pas de raison d’être, tu négliges une soubrette venue t’offrir un cocktail et passes dans l’autre pièce. Nue, avec les jambes écartées d’une façon qui te paraît invraisemblable et dont tu songes qu’elle doit la faire souffrir, la jeune femme est vautrée dans un large fauteuil en cuir où son corps chétif semble se perdre… Elle pleure et répète d’une voix déchirante qu’elle ne veut pas, tandis que derrière le fauteuil, se tient un homme qui penché et armé d’une paire de ciseaux dont tu ne te souviens pas avoir jamais vu pareil modèle, est tout occupé de lui couper les cheveux, dont de longues mèches épaisses, une à une, tombent sur le sol…

 

Dans un dédale de rues sales et humides, à l’aube, tu marches la tête basse. Tu ne sais plus une fois encore où tu as pu te perdre et c’est sans importance. Pourtant, il te semble que tu n’as pas toujours été cet être dénaturé qui fuit et se fuit, que sans cesse harcèlent des souvenirs dont il n’est plus certain, que sans cesse effraient de façon ridicule sans doute des visions, des coïncidences que l’insomnie seule et le mauvais sommeil rendent frappantes, qui n’espère plus rien, est indifférent, se livre lucidement à ce qu’il déteste… Quelque chose a dû se briser, à un moment ou à un autre.

 

    

   Le texte a été écrit au début des années 2000. Frédéric Perrot.

lundi 1 novembre 2021

L'amour est un chien de l'enfer (Charles Bukowski)


 

L’amour est un chien de l’enfer est un recueil de poèmes de Charles Bukowski.

 

Extrait : « La nuit où j’ai baisé mon réveille-matin »

 

une fois à Philadelphie

alors que la faim me montait au cerveau

et que j’avais une petite chambre

et que c’était entre chien et loup

je me tenais à ma fenêtre au 3è étage toutes

lumières éteintes et je regardais plus bas

ce qui se passait dans la cuisine du 2è en face

et je vis une superbe blonde

dans les bras d’un jeune mec l’embrassant à

pleine bouche comme si elle n’y avait pas

goûté depuis des lustres et je restai là à les

épier jusqu’à ce qu’ils se séparent.

puis je me retournai et j’allumai la lumière.

je contemplai la commode, les tiroirs ouverts

et sur la commode mon réveille-matin.

le prenant et l’emmenant

dans le lit avec moi

je le baisai jusqu’à ce que les bras m’en

tombent, puis je sortis et déambulai dans les

rues jusqu’à ce que mes pieds fussent couverts

d’ampoules, au retour j’allai immédiatement

à la fenêtre et je regardai dans la maison

d’en face mais la lumière dans la cuisine

était éteinte.

 

 

      L’amour est un chien de l’enfer. Traduit de l’américain par Gérard Guégan.

 

Autres publications sur Charles Bukowski : 

 

http://beldemai.blogspot.com/2018/07/sur-deux-freres-de-sammy-sapin.html

    http://beldemai.blogspot.com/2020/03/chanson-pour-ce-chagrin-doucement.html