Le charme de la ritournelle
Si
le sens général de la chanson reste pour moi assez mystérieux, j’aime l’idée du
dialogue entre un fils et son père. C’est un récit, une fiction. Le fils est
peut-être un soldat. Il veut changer de « nom », il interpelle son
père à ce sujet, car celui qu’il « porte » est
« recouvert » de « peur », de « saleté », de
« lâcheté » et de « honte ». Le fils voudrait renaître, si
je puis dire, dans un autre corps et avec une autre personnalité, un « visage »
« juste » « cette fois » et « un esprit » «
calme ». Le père qui l’a « verrouillé » dans « ce
corps », lui suggère qu’il peut au choix « l’utiliser comme une
arme » « ou pour faire sourire quelques femmes ». On notera en
passant l’irone discrète de ce conseil paternel si libéral ! Le père
semble à la fin se justifier (« Je ne me suis jamais détourné », « Je
ne suis jamais parti ») et laisse entendre à son fils qu’il est libre et qu’il n’a plus besoin de lui
depuis longtemps. C’est lui le fils qui a « construit le temple » et
qui a « recouvert » le « visage » du père. À ce moment, la
chanson peut faire songer à Story of
Isaac, sur le second album de Cohen, où le mythe d’Abraham est raconté du
point de vue du fils, celui que l’on s’apprête à sacrifier au sommet d’une
colline… Dans le contexte historique précis où elle est écrite – la guerre du
Sinaï, « pour les égyptiens et les israélites » – la dernière strophe
reste ouverte et peut sembler un appel ambigu
à la paix : « Puisse l’esprit de cette chanson »
« s’élever » « pur et libre ». « Puisse-t-il être pour
toi » « un bouclier contre l’ennemi ». Je ne dirai rien du
refrain, si simple, si beau, si mémorable, qui me paraît établir le contraste
avec la noirceur des couplets et participe au charme toujours renouvelé de la
chanson, de la ritournelle !
Le texte a été écrit en
janvier 2017. Frédéric Perrot
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