1 – C’est d’abord un récit comique et légèrement
« névrotique » dans cette manière qu’a le narrateur de personnaliser
sa cheminée, de se sentir « inférieur »
à elle et de répéter tout au long du récit la formule « moi et ma cheminée » comme Bartleby
répète pour se séparer du Monde sa formule de « résistance passive »
(« I would prefer not to… »).
2 – C’est ensuite une fantaisie inventive à la Dickens, un récit dont
aucun mot ne peut être vraiment pris au sérieux, comme le montreraient
suffisamment cette histoire de « cabinet secret » qui serait
dissimulé dans la cheminée et justifierait sa « destruction » ou le personnage de M. Scribe, non moins que la
manière dont le narrateur « achète »
si facilement le silence de celui-ci – avec quelques billets !
3 – Ce pourrait être une image de « l’horreur » – mot trop
fort – de la vie conjugale et du mariage ; le vieil homme devant avant
tout lutter contre les projets de sa femme, une femme que l’on dirait de nos
jours et malgré son grand âge, moderne, active, sportive. Elle rajeunit
d’ailleurs au fil des pages ! Le personnage apparaissant en tous cas comme
un homme cerné par les femmes ;
cerné « de toutes parts »,
par son épouse et ses trois filles, qui relativement discrètes au début s’affirment
de plus en plus et dans leur opposition au père s’individualisent au fur et à mesure du récit.
4 – On pourrait également y discerner une métaphore plaisante et drôle
de la sempiternelle lutte entre les Anciens et les Modernes ; le narrateur qui
n’aspire qu’à la tranquillité étant du côté de la tradition et sa femme du côté
des rénovateurs et des intellectuels : « Ma femme, au contraire, dont la jouvence tourne la tête, n’a d’yeux que
pour la nouveauté ». Alors que lui se dit convaincu que
toute « amélioration »
est aussi une « destruction ».
(On ne dira rien des quelques
imbéciles qui y ont vu un récit « phallique ». Moi et ma cheminée
demeurerons de marbre face à telles inepties ! )
5 – Ce serait peut-être enfin une méditation amère sur la vieillesse et la solitude, comme l’indiqueraient les
toutes dernières lignes du récit :
« Il y a maintenant près de
sept ans que je n’ai pas bougé de cette maison. Mes amis de la ville se
demandent pourquoi je ne leur rends plus visite comme avant. Il pense que je me
suis aigri, que je suis devenu asocial. Certains disent que je ne suis plus
qu’un vieux misanthrope moussu, alors qu’en fait je ne cesse tout simplement
pas de monter la garde devant ma cheminée moussue. Car il est entendu entre moi
et ma cheminée que, moi et ma cheminée, nous ne nous rendrons jamais.»
Mais il est bien évident que ces différentes lectures ne sont pas incompatibles.
Elles ne sont au contraire que les fils entremêlés du riche tissu sémantique de
ce court récit d’une quarantaine de pages écrit en 1856 et qui – c’est sa
grandeur, sa beauté –, en les contenant
toutes, et d’autres, n’est épuisé par aucune…
A lire également de Lewis Mumford, Herman Melville (Editions Sulliver, 2006)
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