Je me souviens assez bien de la sortie de We love life en 2001, d’un patron de
bar, amateur de musique parlant avec admiration de disque « monstrueux »
– il parlait du son et de la production – ou du désarroi d’un journaliste des Inrockuptibles évoquant dans sa
chronique un « grand disque malade »,
parfait musicalement, mais froid, cérébral, désincarné.
En effet, malgré son titre, dont on peut
penser qu’il est à moitié ironique, We
love life n’est pas un disque très fun :
c’est un euphémisme… Rétrospectivement, il ressemble même à un chant du cygne, We love life étant à ce jour et sans
doute à jamais le dernier disque du groupe.
Après l’immense succès populaire de Different Class (1995) et le génial This is hardcore (1998) entièrement placé
sous le signe de David Bowie, ce grand échalas tourmenté qu’est Jarvis Cocker
ne paraît plus trop savoir où il en est. Il se tourne vers l’une de ses idoles,
le légendaire Scott Walker, à qui il confie la production du disque. Ce n’était
pas forcément une bonne idée…
We
love life devient plus un disque de Scott Walker que de Pulp :
le son est « énorme », « grandiloquent » et sur plusieurs
morceaux – le cinématographique Wickerman,
Sunrise, le bancal Bad Cover Version –, on retrouve ces chœurs invraisemblables qui sont l’une de ses marques de fabrique.
Si le résultat est par moments époustouflant
– Scott Walker est une sorte de sorcier et sur Sunrise c’est superbe –, on a néanmoins l’impression que Jarvis
Cocker et son groupe se trouvent un peu dépossédés de leurs propres chansons.
Mais le problème est ailleurs et plus
profond : Jarvis Cocker – qui a ramé bien longtemps avant de connaître le succès,
le premier album de Pulp est de 1983 – n’y croit plus, il a même l’air
complètement paumé… Il s’est ainsi découvert une soudaine préoccupation
écologiste – Weeds, le très lisse The Trees – et si l’on ne doute pas de
sa sincérité, ce n’est pas ce qu’il a fait de mieux…
Les bons sentiments ne conviennent pas à
Pulp et si l’on aime les paroles de Jarvis Cocker – le meilleur parolier
anglais des années 90 et de loin –, c’est pour leur verve, leur cruauté – Freaks ! –, leur ironie cocasse,
leur manière d’appeler un chat un chat – Jarvis Cocker est notoirement obsédé
sexuel ! –, leur dimension de chronique sociale (Common People) et leur part d’autodérision. Rien de tel sur We love life.
Les textes trahissent un désespoir morne –
Wickerman – ou l’amertume – Bad Cover Version et ses pics adressés
aux Rolling Stones et à une culture populaire qui ne semble plus capable que de
« tristes imitations »…Quand
on n’a pas le sentiment que Cocker devient simplement cinglé, dans l’étrange et
mal foutu I love life, qui finit dans
des déluges de larsens et les hurlements d’un homme conscient que sa vie lui
échappe, qu’on lui a volé sa vie : « I’m gonna fight to the death til they give me back my life ».
Le reste est à l’avenant : la mort et
la douleur – The night that Minnie Timperley died – les déprimantes péripéties automobiles
– Roadkill – ou la haine de la lumière du jour – Sunrise.
Paradoxalement, même si tout cela paraît
grandiose et inabouti, parfois limite
prétentieux – Weeds, Weeds II (the origine of the species) et
leurs peu convaincantes sonorités électroniques en ouverture du disque – We love life, presque vingt ans plus tard, demeure un album à part, dont les meilleurs
morceaux sont peut-être selon moi les plus simples et les plus pop : The night that Minnie Timperley died et
ses riffs de guitare incisifs ou le charmant The Birds in your Garden, dans lequel Cocker retrouvant un reste de
fraîcheur bienvenue, invite sa petite
amie à ne pas faire de manières et à écouter les oiseaux, qui dans son jardin chantent
pour eux l’amour et l’épanouissement sexuel !
Frédéric Perrot - Mars 2019
Pour écouter The night that Minnie Timperley died
https://youtu.be/yNgb8OCnskA
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