Je suis un homme malade… Je suis un homme
méchant. Un homme plutôt repoussant. Je crois que j’ai le foie malade. Soit dit
en passant, je ne comprends rien de rien à ma maladie et je ne sais pas au
juste ce qui me fait mal. Quoique respectant la médecine et les médecins, je ne
me soigne pas et ne me suis jamais soigné. Ajoutez à cela que je suis
superstitieux à l’extrême ; enfin, assez pour respecter la médecine. (Je
suis suffisamment instruit pour ne pas être superstitieux, mais je le suis
quand même.) Eh, non ! c’est par méchanceté que je refuse de me soigner.
Et ça, je suis sûr que vous ne me faites pas l’honneur de le comprendre. Eh bien, moi, je le comprends. Bien entendu, je ne saurais vous expliquer à qui, en
l’occurrence, ma méchanceté réserve sa volée de bois vert ; je sais parfaitement
et très bien que les docteurs, ça ne les « embêtera » en aucune façon
que j’y aille ou pas ; je sais mieux que personne qu’avec tout ça, je ne peux
me faire tort qu’à moi-même et à personne d’autre. Mais n’empêche, si je ne me
soigne pas, c’est par méchanceté. Tu as mal au foie ? Grand bien te fasse,
aies-y encore un peu plus mal !
Cela fait déjà longtemps que je vis comme
ça – quelque chose comme vingt ans. J’en ai quarante, à présent. Avant, j’étais
fonctionnaire ; je ne le suis plus. J’étais un fonctionnaire méchant.
J’étais grossier et j’y prenais plaisir.
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Fédor
Dostoïevski, Notes d’un souterrain
Traduction
et notes de Lily Denis.
Introduction
de Tzvetan Todorov.
Editions
GF – Flammarion, 1992.
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