À cette époque, j’étais fou. J’avais dans mes
valises un scénario de sept cents pages sur la vie de Melville : Herman
Melville, l’auteur de Moby Dick, le
plus grand écrivain américain, celui qui, en lançant le capitaine Achab sur les
traces de la baleine blanche, avait allumé une mutinerie aux dimensions du
monde, et offert à travers ses livres des tourbillons de prophéties auxquels
je m’accrochais depuis des années ; Melville dont la vie avait été une
continuelle catastrophe, qui n’avait fait à chaque instant que se battre contre
l’idée de son propre suicide et, après avoir vécu des aventures fabuleuses dans
les mers du Sud et connu le succès en les racontant, s’était soudain converti à la littérature, c’est-à-dire
à une conception de la parole comme vérité, et avait écrit Mardi, que personne n’avait lu, puis Pierre ou les Ambiguïtés, que personne n’avait lu, puis Le Grand Escroc, que personne n’avait lu,
avant de se cloîtrer pour les dix-neuf dernières années de sa vie dans un
bureau des douanes de New York, et de déclarer à son ami Nathaniel Hawthorne :
« Quand bien même j’écrirais les Evangiles en ce siècle, je finirais dans
le ruisseau. »
Telles sont les premières lignes du roman
de Yannick Haenel, Tiens ferme ta
couronne, roman d’une drôlerie rare dans la littérature française
contemporaine. Qui aime Melville, le plus grand écrivain américain et peut-être l'un des plus grands écrivains tout court, m’intéresse !
Ceci dit, cet incipit comme disent les
littéraires, bien que séduisant, est tissé d’erreurs. Le silence de Melville est un mythe : même après l’échec des
livres dans lesquels il avait placé tous ses espoirs, Melville a continué d’écrire.
Et même s'il est beau de le penser, quand il était employé au bureau des
douanes de New York, Melville ne correspondait plus depuis des années avec
Nathaniel Hawthorne, mort en 1864.
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