« D’où
viens-tu Hawthorne ? » rassemble un certain nombre de lettres d’Herman
Melville à différents correspondants. Extrait de la longue lettre du premier juin
1851 à Nathaniel Hawthorne
Dans une huitaine, j’irai m’enterrer à New
York dans une chambre au troisième étage, pour peiner comme un esclave sur ma
« Baleine » pendant qu’elle passe sous la presse. C’est le seul moyen
que j’ai maintenant d’en finir avec elle, tant je suis tiré à hue et à dia par
les circonstances. Le calme, le sang-froid, l’humeur silencieuse de l’herbe qui
pousse avec lesquels un homme devrait
toujours créer – cela, je le crains, ne peut être que rarement mon lot. Les
dollars me font damner, et le malin Démon, tenant la porte entrebâillée, est
sans cesse à grimacer à mon adresse. Mon cher, j’ai un pressentiment – je
finirai par être complètement usé et par périr comme une vieille râpe à noix de
muscade, râpé moi-même par le frottement constant du bois, je veux dire de la
muscade. Ce que je me sens le plus poussé à écrire, m’est interdit – cela ne
paiera pas. Et pourtant, c’est certain, écrire autrement, je ne le puis. De sorte que le résultat, en fin de
compte, est un gâchis et que tous mes livres sont sabotés. Je me montre
peut-être un peu dolent dans cette lettre, mais voyez ma main ! – quatre
ampoules sur cette paume, faites par des houes et des marteaux durant ces
quelques derniers jours. C’est un matin pluvieux, aussi suis-je à la maison,
tout travail suspendu. Je me sens d’humeur enjouée, et c’est pourquoi j’écris
de manière un peu cafardeuse. Que le Gin n’est-il de la partie ! Si
jamais, mon cher Hawthorne, dans les temps éternels à venir, vous et moi sommes
assis au Paradis, dans quelque petit coin ombragé, en tête à tête, si nous
parvenons par quelque subterfuge à y introduire en fraude une caisse de
champagne (je ne crois pas à un Ciel au régime sec) et si nous croisons alors
nos célestes jambes dans l’herbe céleste qui est toujours tropicale, et
entrechoquons nos verres et nos têtes
jusqu’à ce que celles-ci et ceux-là résonnent musicalement de concert – alors,
ô mon cher compagnon de mortalité, comme nous discourrons agréablement de
toutes les multiples choses qui nous causent à présent tant de détresse –
tandis que la terre entière ne sera plus pour nous qu’une réminiscence, oui, et
sa dissolution finale de l’histoire ancienne. On composera alors des chansons
comme à la fin des guerres ; des chansons humoristiques, comiques –
« Oh ! quand je vivais dans ce drôle de petit trou qu’on appelait le
monde », ou bien « Oh ! quand je peinais et suais là-bas »,
ou encore « Oh ! quand je cognais et que l’on me cognait dans la
bagarre » – oui, attendons avec espoir de pareilles choses.
(Choix,
traduction et introduction de Pierre Leyris, NRF Gallimard)
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