mardi 30 mai 2023

Sur Excursions poétiques de Marie-Anne Bruch


 

« Paris change ! mais rien dans ma mélancolie

N’a bougé ! palais neufs, échafaudages, blocs,

Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie,

Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.»

                        Charles Baudelaire

 

 

Le nouveau livre de Marie-Anne Bruch, Excursions poétiques, semble s’inscrire dans une tradition clairement identifiée, presque un genre littéraire en soi : l’errance parisienne.

Inauguré sans doute par les personnages de Balzac, Baudelaire, qui plus qu’un autre a mis Paris sur la carte du monde poétique. Poursuivi au vingtième siècle par Rilke, Céline, Aragon, les dérives situationnistes, jusqu’aux déambulations somnambuliques des personnages de Modiano.

Hélas, si on peut dire, Marie-Anne Bruch nous décrit le Paris des années 2020 et le tableau est très ressemblant. Ce qui domine, c’est le mouvement perpétuel, le grouillement presque insensé et le bruit… Pour la plaisanterie, le vieux Voltaire se plaignait déjà, au dix-huitième siècle, que Paris fût une ville si populeuse et bruyante !

Marie-Anne Bruch au fil des textes courts qui composent Excursions poétiques, traduit bien l’épaisseur de son dans laquelle l’individu contemporain flotte sans en avoir conscience. Une douce musique vous accompagne toujours, ainsi que les bruits ordinaires, assourdissants, du « trafic automobile », du « métro aérien » et des travaux publics. Chansons pop, rythmes techno, airs de bossa vous invitent à penser que vous vivez dans le meilleur des mondes ! Ce bruit continuel, ininterrompu enveloppe une grande laideur publicitaire aux couleurs criardes. Celle du tourisme international… Tout le monde se presse à Paris, pour y déambuler sans rien voir.

Marie-Anne Bruch au contraire fait figure de passante « contemplative », qui s’attarde et regarde, quitte à passer pour une personne un peu louche aux yeux de ses contemporains plus pressés. Elle le répète à plusieurs reprises.

Ce qui est très intéressant, outre l’envahissement de l’espace public par le téléphone portable, signe des temps et changement presque anthropologique comme diraient les pédants, c’est que les véritables parisiens, ceux qui habitent Paris, ont l’air sous la plume de Marie-Anne Bruch, bien « fatigués », mornes, déprimés, une masse aveugle qui ne croit plus depuis longtemps à la fête obligatoire… D’ailleurs, même les touristes ont l’air de se demander ce qu’ils font là :


« Il est possible que cette place soit dédiée à la gaîté mais le visage des passants n’a rien de réjouissant, qu’ils farfouillent au fond de leur porte-monnaie dépressif, qu’ils soient affublés d’écouteurs rutilants, de sacs à dos obèses ou qu’ils fassent rouler leurs valises d’une main malhabile. Tous ces candidats au voyage et autres tireurs de bagages paraissent à la fois sur le départ, sur le retour et sur le point de ne pas y arriver. Devant la terrasse où je me trouve se dresse un kiosque à journaux, où des cartes postales panoramiques et diverses babioles et colifichets pour touristes étrangers – grands amateurs de Tour Eiffel – brillent en vain. »

 

Ceci dit, passée cette impression de détachement ironique face à la comédie débraillée du monde, on comprend que cette errance à travers différents lieux de Paris a une importance existentielle pour l’auteur…  Se laissant emporter par « le torrent de la mémoire », l’auteur est à la recherche d’elle-même et les lieux où Marie-Anne Bruch retourne ne sont pas indifférents : ce sont ceux de son enfance, de son adolescence tourmentée, de ses premières amours, de ses démarches infructueuses dans le monde professionnel. Il y a même des endroits de Paris où elle se force à aller pour se confirmer qu’elle avait bien raison de les détester. Déjà à l’époque !

 

C’est l’heure des bilans, et ils ne sont pas tous négatifs, loin de là…  Même si l’auteur doit bien constater que sa ville, Paris, est devenue quelque chose qu’elle ne comprend plus vraiment, qu’elle-même a changé, que du seul fait de son âge et de son vécu elle se sent un peu étrangère au monde qui l’entoure, elle reste fidèle à certains de ses refus et à son goût pour la beauté, d’une architecture ou d’un jardin.

 

                                                                       Frédéric Perrot

 

 

     Marie-Anne Bruch, Excursions poétiques

     Z4 éditions

4 commentaires:

  1. Très bel article, merci ! https://z4editions.fr/product/excursions-poetiques/

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    1. De rien. C'était avec plaisir. J'aime beaucoup ce qu'écrit Marie-Anne Bruch. Longue vie à votre maison d'édition.

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  2. Bravo. J'aime aussi ce qu'écrit Marie-Anne. Votre texte magnifique met parfaitement en lumière son dernier livre ! Merci

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    1. Je ne sais pas trop quoi dire. Merci à vous pour votre commentaire.

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