Gina
n’avait pas d’enfant vivant, et me tirait la langue. Elle était une femme de
télévision mais du côté le moins cathodique de l’écran, le côté chair et
canapé. Gina était en chair et cette chair n’avait pas d’âme, pas de centre,
pas de noyau dur et pas de structure sinon le canapé. Si je lui ramenais un
requin, ça lui arracherait sans doute un sourire. Mais le sourire s’adresserait-il
à moi ?
La
pluie en crise de larmes s’est mise à grêler le satin du sable d’une méchante
vérole.
J’étais
en pleine crise poétique. Il fallait s’abriter.
Le
ciel est devenu la peau d’un grand tambour douloureux.
De
grands anges de lumière avançaient vers moi. Ils étaient la réincarnation de
petits bébés morts. Et derrière eux venait la sainte, une féminité brûlée vive.
Elle portait une armure étincelante et un étendard aux couleurs rouge et or du
football club de Lens. Son sourire était figé dans la lave. Ses yeux étaient
des plis et des replis du ciel. Un atelier de peintres fous barbouillaient le
ciel. Le ciel avait une substance humaine. Cette substance s’appelait
souffrance. De l’autre côté du ciel, tout se passait bien, les gens rigolaient ou
pratiquaient le yoga. J’ai tendu les bras d’un côté et de l’autre, sans me protéger
les yeux, ni me voiler la face, et je suis tombé à genoux ; j’ai rampé
dans le sable mouillé en surface, et chaud dessous, la chienne à mes côtés.
Je
me suis introduit toujours à plat ventre dans une sorte bunker à moitié végétal,
une caverne clandestine de braconnier des dunes et garennes à lapins, avec la
chienne qui me collait sa truffe dans la main.
Humidité
d’un caveau, d’une soute, d’un cachot, pas celle d’un utérus.
Humidité
des tranchées, de la guerre au nord de la Seine et de la Somme.
Humidité
de sueur froide.
Certaines
longues gouttes de pluie s’immisçaient dans la cabane et pendaient comme des stalactites
à des toiles d’araignée.
Humidité
d’une truffe.
Humidité
du corps des saintes statufiées dans les églises au nord de la Seine et de la
Somme.
Je
n’avais pas peur de l’avenir, mais du passé.
Humidité
des cryptes et des cales des navires qui croisent en mer du Nord.
Humidité
glacée des vieilles larmes.
J’étais
dans un repli du temps.
Je
purgeais une peine. J’étais content de purger cette peine. C’était sans doute
la peine d’un autre.
J’ai
vu le repli se replier sur moi, comme un ciel d’encre enveloppe la barque du
fou et la renverse, avec sa noire cargaison d’âmes.
Hervé
Prudon, La langue chienne
Quatrième
de couverture
La
Langue chienne, au départ, est une histoire inspirée d’un
fait divers réel bien noir, dont la banalité confine au sordide : un homme
est brûlé vif par sa femme et son amant après avoir été pendant des mois leur
souffre-douleur. Seulement, l’écrivain qui est ici à la manœuvre, c’est Hervé
Prudon. Manchette disait à propos de lui : « J’ai de la considération
pour cet homme, car il œuvre avec passion et capacité. » Dans La Langue
chienne, il transforme le fait divers en mythe servi par la langue de Genet
et de Céline, entrecoupée par les silences de Beckett. Le narrateur, Tintin,
est un rejeton abandonné de la classe moyenne dans un pavillon de Marquebuse,
une cité maritime du Pas-de-Calais. Tintin a beau être un mari complaisant, il
énerve. Son goût de la poésie, de la lecture… Pour un peu, il se mettrait à
écrire. Alors, Tintin va consciemment au martyre : il sait que « le
seul mensonge qui tienne debout, qui dure longtemps, c’est la langue du chien
qui lèche la main qui le bat ».
Jérôme Leroy
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire