C’était l’événement de la rentrée
littéraire, le nouveau livre de Virginie Despentes, dont le titre amusant était
déjà en soi tout un poème, Cher connard. L’accueil fut dithyrambique comme
il fallait s’y attendre. Unanimité de la presse, Une des Inrocks, courue
d’avance, et même de Télérama – ce « plat torchon de la presse culturelle »
comme disait Houellebecq –, qui aime parfois à s’encanailler ! L’unanimité
est toujours suspecte, mais je partais sans a priori…
Commençons par le commencement, l’aspect
marketing. Le livre nous est présenté et vendu comme des Liaisons dangereuses
« ultra-contemporaines ». Première erreur. Cette comparaison est un
peu écrasante pour le livre de Despentes pour deux raisons essentielles. Dans
le roman de Laclos, il y a au moins une dizaine de personnages et chacun a une manière
propre de penser et d’écrire. C’est cette multiplication des voix, cette polyphonie
qui fait la force et la beauté du roman de Laclos. Dans le livre de Despentes,
il y a deux personnages (trois avec celui de la blogueuse) et ils pensent et
écrivent exactement de la même façon, c’est-à-dire comme l’auteur, incapable de
leur insuffler une voix… D’autre part, les échanges de lettres dans Les liaisons
dangereuses permettent au lecteur de suivre le développement de l’intrigue,
à savoir l’affreux complot fomenté par Valmont et la Marquise de Merteuil. Dans
le livre de Despentes, il n’y a quasiment aucune intrigue : d’un strict
point de vue romanesque, c’est d’une extrême pauvreté…
C’est en fait tout le problème. Le dispositif
mis en place, cet échange de « lettres » entre Oscar (écrivain
pleurnichard) et Rebecca (actrice sur le retour) ne fonctionne pas. Un esprit
narquois pourrait noter qu’à l’ère d’Internet, plus personne n’écrit des
lettres, mais le plus gênant dans le livre de Despentes, c’est que l’on peine à
y voir des lettres… Ce ne sont pas des lettres. On ne sait pas trop au
juste ce que c’est : des monologues, des interventions successives dans un
groupe de paroles… Par ailleurs, l’auteur ne fait strictement rien de cette
forme, qui au mieux apparaît donc comme un truc, une astuce…
Oscar et Rebecca s’envoient des messages,
disons. De quoi parlent-ils ? D’alcool, de drogue, d’alcool, de drogue.
Dessine-moi une bouteille ! Dessine-moi une seringue ! La drogue c’est
cool, l’alcool c’est mal, etc. Palpitant… D’un mot, cela ressemble à une conversation
entre deux piliers de comptoir, émaillée de considérations à la truelle sur l’époque
(Me Too, le féminisme, le capitalisme, etc.) et d’interrogations existentielles
– ironie – sur le corps, la vieillesse… Il est à noter que l’arrivée de l’épidémie
de Covid est plutôt une bonne nouvelle, pour le livre, je veux dire, qui prend
alors un semblant de réalité… Mais que tout cela est long et ennuyeux…
Du style brut de décoffrage de Despentes
dont on nous rebat les oreilles, je ne dirai rien, sinon qu’un écrivain même
amateur de rap ne devrait pas écrire des « punchlines », mais des
phrases. Flaubert écrivait-il des punchlines ? Peut-être une de temps
à autre dans Madame Bovary : « La conversation de Charles était
plate comme un trottoir de rue, et les idées de tout le monde y défilaient, dans
leur costume ordinaire, sans exciter d’émotion, de rire ou de rêverie. ».
Ce qui est à mon sens le meilleur résumé du livre de Virginie Despentes.
Frédéric Perrot
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