La psychanalyse,
sans doute parce que justement mes zones d’ombre personnelles ne m’intéressent
pas trop, m’a toujours été indifférente. Que me feraient des révélations
ponctuelles ? Et surtout qu’en ferais-je ? Je veux dire, qu’en
ferais-je dans l’écriture ? Que des lecteurs expriment souvent leur croyance
qu’écrire revienne au même qu’une psychanalyse, surtout s’il s’agit d’une
écriture autobiographique, me paraît participer d’une espérance et d’un
malentendu. Espérance de se libérer tout seul de ses problèmes, de son mal de
vivre, et en même temps obtenir la reconnaissance des autres, le gros lot
psychico-symbolique. Malentendu, parce que c’est croire que l’écriture n’est que la recherche de choses
enfouies, qu’elle ressemble au processus de la cure psychanalytique. Il me
semble qu’en écrivant, je me projette dans le monde, au-delà des apparences,
par un travail où tout mon savoir, ma culture aussi, ma mémoire, etc., sont
engagés et qui aboutit à un texte, donc aux autres, en quelque nombre qu’ils soient,
ce n’est pas la question. C’est tout le contraire d’un « travail sur soi ».
Si j’ai à me guérir de quelque chose, cela ne passe pour moi que par le travail
sur le langage, et sur la transmission, le don aux autres d’un texte, qu’ils le
prennent ou le refusent
Mais, bien entendu, je ne récuse en aucune
façon l’apport de la psychanalyse à la connaissance humaine – il est immense – ni
son usage dans l’approche de la littérature. Mais il y a quelquefois un côté
flic, désespérant – tout ça pour ça, et en plus je le sais ! – dans cette
volonté de débusquer à toute force les composantes psychiques de l’auteur, de
traquer les aveux du texte comme ceux d’un accusé. Il y a quelques années, un
psychanalyste régulièrement consulté dans les médias avait trouvé dans La
honte une erreur de ponctuation – un point à la place d’une virgule – et échafaudé
sur cette erreur, où il voyait un « aveu muet », la trace inconsciente
d’un bouleversement, sa brillante interprétation qui, sans surprise, avait
trait à l’œdipe. Sauf qu’il avait très mal lu, pas vu la construction stylistique,
et qu’il n’y avait aucune erreur de ponctuation… En clair, il avait préféré m’attribuer
une faute de syntaxe plutôt que de s’interroger sur la validité de sa thèse. Il
y a des moments où je pense comme Adorno, qui dit dans les Minima Moralia
que la psychanalyse transforme en banalités conventionnelles les secrets
douloureux de l’existence individuelle.
Ces lignes que je trouve réjouissantes, sont extraites du livre d’Annie Ernaux, L’écriture comme un couteau. Entretien avec Frédéric-Yves Jeannet.
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