jeudi 9 juillet 2020

La ronde des enfants


Romuald se pencha au dehors. Le bruit des enfants dans la cour était insupportable. Maudits marmots ! Tout juste bons à piailler sous ma fenêtre, comme de petits singes ! Et regardez-moi cette ronde qu’ils font, si ce n’est pas ridicule une ronde !
– Foutez-moi le camp ! leur cria-t-il en tendant le poing et dans l’attitude de quelqu’un qui sous le coup de la colère va enjamber le montant de sa fenêtre. – Heureusement que j’habite au rez-de-chaussée – Foutez-moi le camp ! J’ai du travail, moi ! Et vous feriez bien d’en faire autant, si vous voulez devenir quelque chose dans la vie !
La ronde était interrompue. Les enfants étaient déjà sur le point de se disperser… Lorsque sur un signe silencieux de celle qui devait être l’aînée, docilement, ils se mirent en rang, comme pour une photographie de classe : les plus petits devant et les plus grands derrière. – Quel tableau ! Tous regardaient Romuald.
Leurs yeux étaient étrangement vides, globuleux… Des yeux de poissons morts, songea-t-il en reculant d’un pas pour fermer sa fenêtre. Comme s’ils n’attendaient que ce mouvement, tous levèrent un doigt dans sa direction et tous dirent d’une même voix unanime :
– Nous sommes morts, nous avions le droit de danser. Tu as brisé la ronde, tu as volé nos âmes, tu es un méchant, tu es un méchant…
Et cette accusation le poursuivit encore longtemps après qu’il eut refermé la fenêtre.


                 Ce court récit a été écrit en 1994 ou 1995. Frédéric Perrot.

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