« Jadis, si je me
souviens bien, ma vie était un festin où s’ouvraient tous les cœurs, où tous les
vins coulaient.
Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. – Et je l’ai
trouvée amère. – Et je l’ai injuriée.
Je me suis armé contre la justice.
Je
me suis enfui. Ô sorcières, ô misère, ô haine, c’est à vous que mon trésor a
été confié !
Je parvins à faire s’évanouir dans mon esprit toute l’espérance
humaine. Sur toute joie pour l’étrangler j’ai fait le bond sourd de la bête
féroce.
J’ai appelé les bourreaux pour, en périssant, mordre la crosse
de leurs fusils. J’ai appelé les fléaux, pour m’étouffer avec le sable, le
sang. Le malheur a été mon dieu. Je me suis allongé dans la boue. Je me suis
séché à l’air du crime. Et j’ai joué de bons tours à la folie.
Et le printemps m’a apporté l’affreux rire de l’idiot.
Or,
tout dernièrement m’étant trouvé sur le point de faire le dernier couac !
j’ai songé à rechercher la clé du festin ancien, où je reprendrais peut-être
appétit.
La charité est cette clef. – Cette inspiration prouve que j’ai
rêvé !
« Tu resteras hyène, etc…, » se récrie le démon qui
me couronna de si aimables pavots. « Gagne la mort avec tous tes appétits,
et ton égoïsme et tous les péchés capitaux. »
Ah ! j’en ai trop pris : – Mais, cher Satan, je vous
en conjure, une prunelle moins irritée ! et en attendant les quelques
petites lâchetés en retard, vous qui aimez dans l’écrivain l’absence des
facultés descriptives ou instructives, je vous détache ces quelques hideux
feuillets de mon carnet de damné.
J’ai
lu hier cette ouverture d’Une saison en enfer lors de la soirée poésie du Divanoo.
Frédéric Perrot
Arthur Rimbaud, Une saison en enfer
Edition anniversaire
Poésie
Gallimard, 2023
Préface de Yannick Haenel
Postface de Grégoire Beurier
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