Charlie Hebdo, 18 octobre 2023 |
Ma
chronique de la semaine passée interrogeait la marche du monde et s’intitulait
« Chronique d’un cauchemar ». Je l’avais écrite juste avant l’attaque
du Hamas en Israël, et j’écris celle-ci au lendemain de l’assassinat de
Dominique Bernard, professeur de français au collège-lycée Gambetta d’Arras.
Cela fera bientôt trois ans que Samuel Paty a été assassiné, et je pense
toujours à lui avec émotion, et depuis hier je pense aussi à Dominique Bernard,
à qui je voudrais rendre hommage par ces pauvres mots.
Pour
le moment, je n’ai pas le cœur à en trouver d’autres. La solitude des
professeurs relève du malheur : eux qui se dévouent tous les jours pour
les enfants et les adolescents sont non seulement abandonnés, mais sont devenus
des cibles.
Je
n’arrive plus à écrire : penser à l’innocence bafouée des professeurs de
collège et lycée me bouleverse.
Alors
je vais recopier le morceau de chronique que j’avais commencé à écrire avant la
mort de Dominique Bernard. Il concerne Israël et la Palestine. On n’en sort
plus, de ce cauchemar.
Comment
dire l’abomination commise par le Hamas ? Comment qualifier l’infamie qui
a lieu à Gaza ? Comment trouver les mots justes dès lors que la tuerie, en
passant d’un camp politique à l’autre, ne fait qu’agrandir le domaine de l’iniquité ?
Cette nuit, dans l’insomnie de trois heures, j’ai ouvert l’Ancien Testament
pour chasser de ma tête cette idée insupportable des enfants assassinés du
kibboutz de Kfar Aza, dont certains témoins disent qu’ils auraient été
décapités, et je suis tombé sur le Livre d’Esther.
J’ai
pensé : quand un événement excède toute mesure, les coordonnées
politico-historiques sont peut-être insuffisantes ; il se passe alors
quelque chose d’autre. Car ce qu’il y a de plus terrible est toujours
secrètement spirituel. La vraie terreur gît dans l’esprit. Le mal, en se déchaînant,
libère des puissances qu’aucune négociation territoriale ne justifie. En l’occurrence,
surgi du Livre d’Esther, le nom d’Haman est apparu dans mon insomnie, et avec lui
Amalek et ce peuple des Amalécites qui, dans l’histoire sacrée, cherche à
détruire Israël, à anéantir les Juifs, à rendre impossible la louange et donc
la paix, à propager l’esprit viral de l’extermination, laquelle ne fait que s’étendre,
multipliant la haine de part et d’autre, et faisant du mal la pire des contagions.
Comment
interrompre le virus de la tuerie ? Comment vivre et penser sans qu’Amalek
ne revienne infecter sans cesse les esprits ? Comment les Israéliens et
les Palestiniens, séquestrés par leurs représentants sanguinaires, pourront-ils
un jour sortir du crime auquel l’Histoire les enchaîne et « faire,
comme le dit Kafka, un bond hors du rang des meurtriers », c’est-à-dire
briser en eux l’idée de frontière ? Comment, oui, comment ?
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