La poésie se fait dans un
lit comme l’amour
Ses draps défaits sont l’aurore
des choses
La poésie se fait dans
les bois
Elle a l’espace qu’il lui
faut
Pas celui-ci mais l’autre
que conditionnent
L’œil du milan
La rosée sur une prèle
Le souvenir d’une bouteille de Traminer
embuée
sur un plateau d’argent
Une haute verge de tourmaline sur la
mer
Et la route de l’aventure mentale
Qui monte à pic
Une halte elle s’embroussaille aussitôt
Cela ne se crie pas sur
les toits
Il est inconvenant de
laisser la porte ouverte
Ou d’appeler des témoins
Les bancs de poissons les haies les
mésanges
Les rails à l’entrée d’une grande gare
Les reflets des deux rives
Les sillons dans le pain
Les bulles du ruisseau
Les jours du calendrier
Le millepertuis
L’acte d’amour et l’acte
de poésie
Sont incompatibles
Avec la lecture du
journal à haute voix
Le sens du rayon de soleil
La lueur bleue qui relie les coups de
hache
du bûcheron
Le fil du cerf-volant en forme de cœur
ou de nasse
Le battement en mesure de la queue des
castors
La diligence de l’éclair
Le jet de dragées du haut des vieilles
marches
L’avalanche
La chambre aux prestiges
Non messieurs ce n’est
pas la huitième Chambre
Ni les vapeurs de la
chambrée un dimanche soir
Les figures de danse exécutées
en transparence
au-dessus des mares
La délimitation contre un mur d’un
corps
de femme au lancer de
poignards
Les volutes claires de la fumée
Les boucles de tes cheveux
La courbe de l’éponge des Philippines
Les lacés du serpent corail
L’entrée du lierre dans les ruines
Elle a tout le temps devant elle
L’étreinte poétique comme
l’étreinte de chair
Tant qu’elle dure
Défend toute échappée sur
la misère du monde
1948
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