La
thérapeutique est ton domaine d’excellence. Le réel tu ne veux pas qu’il te
rentre dedans ; tu ne veux pas le penser, tu veux en guérir – le réparer.
La réparation est une variante bienveillante de la dissimulation.
Témoin
de mon mal de dos, tu me conseilles des soins. Tu es toujours prodigue dans ce
domaine. Toujours sous la main trois ostéos miracles et pourquoi pas un psy.
Car je somatise, tu l’affirmes. J’en ai plein le dos. Au minimum un peu de
méditation me ferait du bien. Souviens-toi, sans cesse tu m’invitais à m’y
adonner, promettant qu’elle m’apaiserait. Il t’échappait juste que je ne veux
pas la paix. Je ne veux pas me guérir du réel. Je ne veux pas de ce bien-être
devenu ton idole. Tu prends soin de toi, tu manges léger et sain, tu arrêtes la
viande rouge moins par égard pour les bœufs que pour tes artères, tu te mets au
running, tu t’étires en mesurant ton pouls, tu es mobile, tu fais de la marche –
nordique. Tu t’entretiens. Tu veux durer toujours plus. Ton avant-garde
californienne investit des milliards pour recoder ton ADN, supprimer la maladie
dans l’œuf, supprimer l’œuf. Tu vas vraiment finir par ne plus mourir. Ta
pulsion conservatrice sera consommée.
La
pensée est violente parce qu’elle capte le réel qui est violent.
Ta
carence en sens tragique te rend sans doute cette assertion inaudible, mais
sache que le réel est violent. Le réel s’éprouve à la violence qu’il me fait.
Ton
réel évidé, c’est le réel vidé de sa substance, de sa violence.
Mon
mode libéral m’a rendu craintif de la violence du réel. Si le surhomme se
reconnaît à la quantité de réel qu’il peut encaisser, alors je suis autant que
toi un spécimen du dernier homme décrit par Nietzsche.
Je
suis en bout de chaîne, en fin de race, un rien m’effraie. Je ne fais pas le
fier devant la violence. Au Bataclan j’aurais fait le mort. Sauvé, j’aurais
pleuré ma mère et à l’heure qu’il est j’en serais encore tout pantelant.
Devant
la violence, je cède comme chacun à une panique indigne.
Ma
seule dignité est de la penser.
Je
ne suis pas courageux, mais je peux au moins exercer ce moindre courage de
penser ce qui vient. À moi non plus il
n’arrive rien, mais au moins puis-je faire qu’il m’arrive de penser.
Les deux extraits appartiennent aux dernières pages du livre de François Bégaudeau, Histoire de ta bêtise.
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