Comme coupé en deux – Il a un œil exercé
pour ce qu’il nomme la vanité… La vanité des autres, il la perce facilement à
jour ; elle l’agace, l’irrite ou le désole ; mais sa propre vanité le
coupe en deux, en ce sens que quoi
qu’il fasse, il est toujours le spectateur distancié et désabusé de
lui-même ; et, dans ces conditions, il lui est presque impossible de s’illusionner et de ne pas considérer avec
dédain le moindre de ses actes… Or, s’illusionner est ce qu’il y a de plus
humain ; et, sans quelques heureuses illusions sur soi-même, on devient à
la longue incapable de quoi que ce soit.
Une cruelle discordance – Il ressent de plus
en plus douloureusement la cruelle discordance qu’il peut y avoir entre les
pensées, les paroles, les écrits et les
actes ; par lesquels ces pensées, paroles et écrits deviendraient
concrets et « mordraient sur le réel »… Et, à l’un de ses rares amis,
qui lui disait un soir qu’il était malgré tout quelqu’un d’assez révolté, il avait répondu sans aucune
agressivité qu’il n’avait jamais été autre chose qu’un bavard, incapable de mettre en application, « même une »
de ses grandes déclarations… Il le ressent d’autant plus douloureusement qu’il
connaît quelques personnes qui vivent comme elles l’ont décidé.
« Quoi qu’il fasse, il
s’abîme dans la tristesse. Sa vie est un gâchis, qu’il n’impute à personne.»
Mais le plus souvent, son
esprit bat la campagne… Il se figure des ennemis, des rivaux dont le seul but
est de lui nuire et avec lesquels, il entretient de violents dialogues secrets
qui, pour son plus grand préjudice, se poursuivent jusque dans ses nuits et
déchirent la trame de ses rêves.
Le puzzle du sens – Sur
la nappe froissée, parmi les cendres, les miettes et les autres saletés, des
morceaux de papier dispersés semblent seuls témoigner que la triste offensive
et les efforts d’un soir, n’ont pas été purement rêvés. La main d’un même
geste, comme saisie de remords, tente de reconstruire le puzzle du sens…
Rapidement il renonce à cette tâche ingrate. Les mots et les phrases raturés
avec rage, dénotent un état d’esprit qui l’étonne et le consterne. Une nuit à
peine l’en sépare ; mais il ne veut plus rien savoir de cette page
déchirée et du sombre inconnu de la veille…
(Schiltigheim, février 2018 – Hambourg,
février 2019)
Frédéric Perrot
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