À peine réveillé
– « Il est troublant d’une certaine manière de penser que l’on peut être
un personnage du rêve de quelqu’un d’autre ; et que l’on pourra l’être
encore, même après sa mort… »
Comme un fantôme
– « Tu m’assures de ton amour, mais je ne serai plus un jour qu’une apparition inexplicable dans
quelques-uns de tes rêves agités… »
Dans le rêve
d’un autre – Il semble sage de ne pas trop réfléchir à la façon dont nous
pouvons apparaître dans le rêve d’un
autre. Il se peut que nous y fassions pâle figure et que l’esprit du rêveur
nous ait percés à jour avec une cruelle lucidité !
Histoire d’amour
– Cette femme qui ne concevait l’amour qu’un peu hystériquement, souhaitait
selon ses dires hanter son amant.
Elle y parvint et souvent il rêvait d’une éolienne ;
c’est-à-dire, malgré la beauté du mot, une machine bruyante, qui « brasse
du vent »… Et, au réveil, désireux de lui plaire et de l’amadouer, il lui
disait en l’embrassant : « J’ai encore
rêvé de toi… »
Ou :
« J’ai rêvé de toi cette nuit… N’insiste pas, je préfère ne pas en parler.
Ce n’était en rien un rêve érotique ! »
Phrase de
rêve : « J’ai cru voir un fantôme… ». Certes… Mais dans le rêve
même, tu n’ignorais pas que la jeune femme que tu regardais danser, est morte
depuis des années…
Et la mauvaise ironie que t’inspirent tes
déboires sentimentaux passés, soudain, s’étrangle…
Présence
posthume – On ne survit peut-être que dans la pensée et les rêves des autres… Ces
rêves qui de façon si déroutante, abolissent la mort et où festoient les
disparus et les vivants… Cette présence
posthume le plus souvent trouble le rêveur, qui a conscience que quelque
chose ne va pas ou que quelqu’un ne devrait pas être là… Et, agité par
l’angoisse, le rêve se met à trembler, avant de s’effondrer dans la vase du
réveil… Mais parfois, ayant tout oublié, le rêveur ressent une incompréhensible
joie. Autour de la table, tous ses amis sont là, il n’en manque pas un seul…
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À ces
quelques fragments, j’ajoute avec gratitude ces lignes que j’ai
découvertes dans le dernier roman de Philippe Forest, l’un des écrivains
français les plus importants à mon sens ; ce que j’ai déjà noté sur ce
blog à la date du 22 septembre 2017. Mais dans ce domaine – celui de nos
préférences – il ne faut pas craindre de se répéter. Frédéric Perrot
« Avec
chaque nuit qui revient, des spectres sortent de l’ombre où ils se tiennent.
Ils reprennent le fil de leur existence ancienne. Sans même paraître avertis de
leur condition. Comptant bien sur la complicité des vivants dont ils visitent
le sommeil afin qu’ils ne leur apportent pas un démenti inutile et cruel. Ils
ne savent rien de leur disparition. Nul ne les en a jamais informés. Ils se
figurent que rien n’a changé depuis. Imperturbablement, ils vaquent à leurs
occupations d’avant, répètent les paroles qu’ils ont prononcées du temps où
leur bouche n’était pas encore remplie d’ombre et de terre. Ils rejouent pour
l’éternité les mêmes scènes dans l’obscurité. Le film de leur vie tourne en
boucle et se projette sur un écran tout blanc aux airs de linceul où ce sont
toujours les mêmes images d’hier qui défilent.
Du moins tant
qu’il se trouve quelqu’un pour se souvenir d’eux.
Je veux
dire : tant qu’il se trouve quelqu’un pour se rappeler les avoir oubliés.
Ou bien :
ils font semblant. Ils feignent de ne pas savoir ce qui leur est arrivé. De
manière à ce que les vivants puissent se convaincre qu’ils l’ignorent.
Interprétant leur rôle afin que le rideau ne tombe pas pour de bon sur la scène
où ils reviennent, que n’arrive pas le moment de la dernière réplique, l’heure
d’éteindre les dernières lumières et de se résoudre à la nuit.
Immense est la
délicatesse des morts. Ils font tout leur possible afin que ceux qui les ont
aimés ne s’aperçoivent pas qu’ils sont partis. Tardant à leur fausser
compagnie. Pendant des années. Qui d’ailleurs durent autant que des siècles.
Puisque le temps s’éternise où ils traînent. De manière à ce que quelque chose
reste d’eux auprès de ceux auxquels ils font défaut et qui n’auraient pas la
force de supporter leur absence sans le subterfuge des songes. »
Philippe Forest, L’oubli,
Editions
Gallimard, janvier 2018
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