Jimmy Poussière, Alain M |
Aux abords de
la ville, il se trouve pris dans un embouteillage, il freine, ralentit
progressivement son allure jusqu’à s’arrêter et bientôt coupe le moteur, les
véhicules devant lui n’avançant plus et ayant coupé le leur.
Pour tromper
son attente, il cherche une fréquence sur l’autoradio dont les chiffres
lumineux défilent à mesure qu’il appuie nerveusement sur le bouton qui commande
la recherche… Et au bout d’un moment, comme surgissant des grésillements, il
entend une voix lointaine qui n’est pas celle du présentateur de l’émission
qu’il a l’habitude d’écouter à cette heure et sur cette fréquence… Et le
mot assassin ayant retenu son attention, il monte le volume.
La voix qui n’est décidément pas celle du
présentateur et n’est qu’à peine perceptible alors qu’il a monté le volume à
son maximum, annonce qu’un assassin activement recherché par la police aurait
été aperçu par des automobilistes pris dans un embouteillage aux abords de la
ville : l’assassin est un homme âgé d’environ soixante ans, il a de longs
cheveux blancs et porte un imperméable beige d’une coupe démodée, l’individu
est considéré comme extrêmement dangereux et il faut à tout prix éviter de
croiser son regard.
Cette dernière information lui
semble d’une absurdité obscure. Il n’est pas certain d’avoir compris, la voix
s’étant à nouveau perdue dans le grésillement dont elle avait surgi… Mais en
proie à un sentiment pénible, retirant sa ceinture, ouvrant sa portière, il
sort de sa voiture, comme pourrait le faire toute personne désireuse de savoir
où en est un embouteillage… Il doit retenir une exclamation. A une cinquantaine
de mètres, entre deux véhicules immobilisés, il aperçoit un homme, un homme qui
correspond à la description faite par la voix lointaine de la radio et il
comprend que des automobilistes, comme lui sortis de leurs véhicules, tombent
sur le sol sans un cri, à mesure que le vieil homme aux cheveux blancs qui
avance d’une démarche alerte entre les véhicules les regarde et cligne des
yeux, comme si ce simple clignement suffisait à les faire tomber sans un cri
sur le sol.
Un à un, tombent les automobilistes,
et leur façon de tomber est étrange, ils tombent comme tombe un chiffon… Ils ne
semblent même pas avoir le temps de souffrir ou de comprendre ce qui leur
arrive : ils tombent les uns après les autres, c’est un véritable massacre… Et
le vieil homme dont les longs cheveux blancs ondoient dans le vent glacé de la
nuit, avance d’une démarche alerte : tout dans son allure suggère une
satisfaction insolente, la certitude qu’il a de sa puissance et l’amusement
profond qu’il éprouve à tuer de si simple façon…
Et pris d’une épouvantable terreur,
il se jette dans sa voiture dont il enclenche le système de fermeture
automatique. Un instant, la pensée le traverse alors qu’il entend
le bruit du système automatique qu’il se prend lui-même au piège et en se
désarticulant, il tente de se cacher entre les pédales et le siège qu’avec un
geste de panique il a fait reculer… Il sait qu’au moment où l’homme aux cheveux
blancs posera son regard sur lui et clignera des yeux, il se produira ce qu’il
a vu se produire et il a envie de hurler, tant cela est à la fois injuste et
incompréhensible… Et en s’enfonçant la main dans la bouche pour se retenir de
crier, il se recroqueville encore…
Et rien ne se passe…
Il tremble de tout son corps, sa
pensée s’égare. Le vieil homme aux cheveux blancs est peut-être passé à côté de
sa voiture sans rien remarquer et osant un mouvement, il sort la tête de ses
mains et lève les yeux vers la vitre passager.
Plié en deux, l’homme aux cheveux
blancs le regarde à travers la vitre, comme on regarde un insignifiant petit
cobaye enfermé dans un aquarium et que dans un moment on empoignera pour une
expérience mortelle.
Frédéric Perrot. 2004-2024
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