Ce
livre sur Blanchot, qui tout en étant mauvais, est troublant : le même
nihilisme serait toujours à l’œuvre chez Blanchot, des années 30 aux années 60.
Blanchot serait un sempiternel partisan de la Terreur, idéologique et
littéraire : il n’aurait pas varié et n’aurait seulement changé que de bord
politique… De l’extrême-droite monarchiste à l’extrême de l’extrême-gauche… L’auteur
(Philippe Mesnard) me semble toucher juste, quand il affirme que Blanchot n’a
jamais vécu que parmi les livres, dans un monde imaginaire. Mais les
conclusions qu’il en tire sont pauvres, puisqu’il n’imagine pas de discontinuité
dans le parcours de Blanchot, qui était peut-être fou ou délirant
à certaines périodes particulièrement sombres de son existence… Ce pourrait
être une hypothèse d’école ! Même son interprétation de ce qu’il nomme le narcissisme
douloureux de Blanchot n’apporte rien. Puisqu’il faudrait plus parler de
solipsisme que de narcissisme. Le solipsisme est une sorte d’aberration
philosophique – le monde existe évidemment sans moi pour le penser –, mais on
ne saurait s’en passer pour appréhender les écrits de Blanchot qui tournent
sans fin sur eux-mêmes, jusqu’au vertige… Or, Philippe Mesnard s’en
passe allégrement et j’ai cherché en vain dans son livre la moindre allusion au
solipsisme.
Mesnard
ne daigne pas envisager que le Blanchot qui participe largement à l’écriture du
Manifeste des 121 (« Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie »)
n’est pas le même, et ne peut être le même, que celui qui vilipendait Léon
Blum dans les années 30. Pour des gens comme Mesnard, jamais un homme ne change…
Ou alors c’est une imposture, un faux-semblant, quelque chose de douteux…
Ce
qui est absurde : Mesnard fait de Blanchot un homme n’ayant jamais vécu
que parmi les livres, mais n’en aperçoit pas les effets concrets : le jeu
purement littéraire, le plagiat assumé, la mise en fiction, comment Blanchot
réécrit bien plus que Kafka ou Sade, Melville ou Lautréamont par exemple, parmi
beaucoup d’autres… Combien les récits de Blanchot sont tissés de citations et
de concepts philosophiques qui sont pris pour eux-mêmes et détournés avec une
indéniable dimension ironique, le propre de l’ironie étant d’être invisible… Un
seul exemple : le dernier homme, un concept de Nietzsche, et que Blanchot semble prendre au pied de la lettre dans
le récit du même nom (Le dernier homme). Blanchot est un auteur difficile, souvent révoltant, pour le lecteur et son intelligence, son rationalisme. Le
nihilisme de Blanchot est en effet immense, mais non à la manière dont
l’imagine Mesnard, dont le livre enfin est mauvais, puisqu’on ne comprend pas
au juste ce qu’il veut prouver…
Il
me paraît faux par ailleurs de réduire philosophiquement Blanchot à Levinas
et à Hegel… Hegel n’est qu’une étape propre à sa génération, celle qui a assisté
aux cours d’Alexandre Kojève. Blanchot, comme Camus, ne s’est jamais prétendu
philosophe. Il était un littéraire – ce qui n’a rien d’injurieux pour
moi, quand il fait la connaissance de Levinas à Strasbourg, ses maîtres sont
Valéry et Proust – et un penseur, dont le seul objet serait les impasses, les
défaillances ou l’impossibilité de la pensée… Blanchot n’est peut-être grand
que par ce qu’il entrevoit, laisse à penser, et par son refus par
exemple de transiger sur Auschwitz. L’écriture du désastre.
Mais
philosophiquement Blanchot tient bien sûr la route. Il accueille avec
reconnaissance la pensée des autres, Foucault, Derrida, Deleuze… Il faut être
un imbécile pour ne pas lui reconnaître cette qualité de lecteur, la gratitude…
Blanchot n’est pas dupe de Heidegger et ses pages sur Nietzsche
restent incomparables.
Frédéric
Perrot
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