La
pluie est figée
Ce
mardi matin est un jour vraiment pluvieux, un vrai jour ennuyeux, ceux que j’aimerais
effacer, comme un enfant qui colorie le calendrier avec des crayons de couleurs je me vois, griffonner, crotter avec des couleurs arc-en-ciel, jaune citron,
bleu ciel limpide, vert comme les épines de sapin, les feuilles du mois du mai
du calendrier, jusqu’à les froisser, les déchirer dans une frénésie infantile,
concentré sur mes crayons de couleurs tout neufs, un vrai plaisir et faire de
ces jours gris, si humides avec cette pluie bâtarde, ni forte ni faible, juste
là pour vous obliger à arrondir les épaules, les faire disparaître à jamais.
Ces jours, je ne les aime pas au point que je voudrais oublier ces jours et ces
matins, les faire disparaître de ma vie, oui je sais, chaque jour, chaque
seconde est précieuse, le décompte ne doit pas être négligé, oui, je le sais,
mais ces jours-là me sont souvent infernaux, mon esprit doit combattre chaque
seconde de ces jours sans lumière, où le fade a envahi tout, les murs, les
rues, l’air, et même les pensées. Je vais sortir, sortir et marcher, ce temps
ne m’empêchera pas de partir en vadrouille dans les rues, je serai muni de mon
parapluie, j’arriverai bien à combattre les éléments avec mon outil personnel,
ce beau parapluie que je possède depuis bien longtemps, je ne l’ai jamais
oublié dans une brasserie, une petite fierté, un vrai combat sur moi-même,
quand je pense à tous les objets personnels que j’ai perdus, je dirai, une
vingtaine de paire de lunettes, avec des œuvres d’art dans le domaine des
lunettes, des pièces rarissimes. Au milieu de mes pas, pas vraiment sûr de mes
enjambées, la pluie qui a couvert la chaussée attire la glissade, la bascule
dans un parterre qui vous détruit en une fraction de seconde votre plus bel
imperméable, n’est pas très loin. Si votre attention est perturbée par un événement
inhabituel, je vous parle comme un vieux, mais vous le savez, ces choses-là, elles
arrivent à tout le monde, et même dans la vigueur des corps jeunes n’est-ce pas ?
Je marche le parapluie bien installé sur mon épaule gauche, la position qui
assure une efficacité complète pour éviter un maximum de gouttes. Je marche
dans la rue, sur la planète Terre, c’est une partie de territoire si petite,
celle où je me trouve hélas ! Est bien noire, si noire, la lumière a fui,
sa discrétion si lâche la rend éteinte avec ce bleu gris sale… Je marche les
muscles légèrement contractés par le temps mais l’humidité me laisse une
ouverture, elle ne peut pas la prendre celle-là, la pluie est figée, son geste de m’agripper
pour mieux m’orienter vers elle, me posséder, est stoppé, comme si sa main ne
pouvait pas me toucher, bloquée par mon corps. L’afflux de mes pensées, elles
ne se bousculaient pas, elles s’affirmaient dans leurs importances, les unes
après les autres. Je marchais, une belle pensée se rappelait à moi…
Le
texte est extrait du premier roman du poète Pierre Louis Aouston, L’effritement,
publié aux Editions De Bonne Heure. Le livre est disponible à la librairie Kléber
de Strasbourg.
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