Un
cœur sensible, cela ne veut rien dire : le cœur est un organe. Pour toi
c’est toujours la médiocrité querelleuse, la plèbe hargneuse ravie de son
ignorance. Les clameurs, les cris ! Un cœur sensible est un cœur malade, qui
sait vénérien ! Il faut sortir, prendre l’air, cesser de se morfondre à
l’œil dans l’arrière-salle de quelque café. L’alcool d’ailleurs est mauvaise
conseillère. Votre hygiène de vie vous est préjudiciable. Regardez-vous, vous
êtes très pâle… Et opiner lâchement du
front pour couper court, dire oui, oui vous avez raison. Et s’éloigner en
serrant le poing, furieux d’avoir subi sans réagir la pesante leçon. Et le
soir dans son lit y penser encore ! Ne pas réussir à dormir, tourner
l’affront dans sa tête, ne pas réussir à l’oublier, l’orgueil piqué devenant un
poison…
Et
glissant dans le sommeil, imaginer que l’on rejoue la scène et que l’on y a le
beau rôle : on a cloué le bec au donneur de leçon, on l’a envoyé au
diable, on lui a fait comprendre que l’on se passerait volontiers de sa
conversation et on a fait mine de ne pas le voir. Triomphe
obtenu sur l’oreiller et qui n’empêche pas la mauvaise humeur au réveil.
Surtout si de tels épisodes se répètent périodiquement… Tant il est évident que
le donneur de leçons n’est pas de ces espèces dont on peut craindre la
disparition…
Ne
t’attends qu’au sarcasme, si les larmes aux yeux te viennent. Les larmes ?
Vous voulez dire ce liquide incolore, par les glandes sécrété ? Un
moraliste français l’a bien dit, à vivre parmi les hommes le cœur doit se
bronzer ou se briser ; et malheureusement pour toi, tu sais de quel
côté penche la balance… Blessé, brisé, aspirer à l’impassibilité du marbre… Tandis
qu’au dehors les clameurs, les cris, tout le fracas du monde…
Mais
ne déplore donc pas du poème la disparition dans les sables de l’oubli –
L’avenir s’en passera ! Et que ton règne vienne, millénaire : Biologie !
Le texte a été écrit au début des années 2000. Le moraliste français dont il est question est Nicolas de Chamfort (1741-1794) Voir la publication du 21 avril 2020, qui lui est consacrée. Frédéric Perrot.
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