Eric Doussin |
Heureux,
il allait à son rendez-vous. Dans un bar où il avait ses habitudes, il devait
retrouver une jeune fille qu’il courtisait depuis quelques temps. Leur dernière
rencontre, ainsi que les quelques baisers fougueux qu’ils avaient échangés réfugiés
sous un porche pour échapper à une pluie battante, lui laissaient espérer une
soirée des plus agréables ! Et il marchait d’un bon pas, le cœur léger et
en réprimant avec peine une envie de chanter… Il y avait du monde à proximité
du bar. Nombre de clients, leurs verres à la main, étaient sortis pour discuter
sur le trottoir. Alors qu’il s’approchait, une jeune fille qu’il ne connaissait
pas, se planta devant lui. « Je t’ai enfin retrouvé », dit la jeune
fille, en lui barrant à présent ostensiblement le passage. Etonné, il considéra
un moment l’inconnue, avant de s’excuser avec un petit rire. Elle devait se
tromper ! Il y avait erreur sur la personne. Pour sa part, il aurait pu en
jurer, il ne l’avait jamais rencontrée auparavant : c’était donc une erreur,
elle le prenait certainement pour quelqu’un d’autre, cela arrivait tous les
jours…
« On
dit ça, dit la jeune fille en approchant encore son visage du sien. Tu ne me
reconnais donc pas ? Cela ne m’étonne pas, après tout ce que tu m’as fait…
–
Décidément vous faites erreur, dit-il en reculant, effrayé. Vous me prenez pour
quelqu’un d’autre, je peux vous assurer que je vous vois pour la première fois… »
Il
détourna un moment la tête, il avait l’impression que quelqu’un avait prononcé
son nom derrière lui. Peut-être était-ce Julie ? Mais à part un ivrogne
appuyé contre un mur de l’autre côté de la rue, il n’y avait personne…
« Regarde-moi… »
Autoritaire, la voix était celle de la jeune fille inconnue. Il se retourna
malgré lui et ne put retenir un cri de surprise. Que se passait-il ?
C’était insensé ! La jeune fille avait grandi, poussé, il ne lui arrivait
même plus à la taille et il devait lever les yeux pour apercevoir son visage
déformé par la colère… De sa longue main, elle le désignait comme elle eût
désigné quelque insecte minuscule. Et le plus étonnant était cette impression
qu’elle continuait de grandir, au fur et à mesure… « Comme une montagne
qui surgirait d’un coup du sol… » Il voulut fuir… Mais il se heurta
brutalement à un autre obstacle, dont il comprit avec épouvante la nature
exacte : c’était une immense paire de jambes glissées dans un pantalon
d’une coupe élégante ! Il y avait en travers de sa route un homme
gigantesque lui aussi, un véritable géant, qui se penchait vers lui comme pour
l’attraper…
« C’est
lui, Maxime, j’en suis certaine, c’est lui qui m’a fait tant de mal…
–
Attends, attends, dit l’homme ainsi interpellé, il faut que j’aperçoive son
visage… »
Et
avec ce qui lui parut une grimace de douleur, comme si cela lui était véritablement
un effort de se pencher encore davantage, le géant se baissa. Pour se
soustraire à son regard, il se cacha derrière les jambes de la jeune fille,
comme il aurait pu se cacher derrière de hautes colonnes…
Il
tremblait de tout son corps, il avait le pressentiment que si le géant le
reconnaissait à son tour, cela signifierait sa fin… Et avec des mouvements
désespérés, il courait dans tous les sens, se jetant sur sa droite, puis sur sa
gauche : comme un prisonnier qui veut échapper à la lumière d’un projecteur,
la tête baissée et en se cachant le visage dans les mains… Mais comment
aurait-il pu faire du mal à une géante ? « Est-ce qu’un moucheron
égratigne une montagne… ».
« C’est bien
lui, tu as raison… » Fou de terreur, il leva les yeux vers le géant qui, à
cet instant précis, sortait de sa veste, une belle veste d’aviateur, un long
objet qu’il ne reconnut pas, mais qui semblait très effilé, et avec lequel, il
pouvait en être certain, le géant allait d’un coup l’épingler au sol,
comme un misérable insecte…
Ce récit a été écrit en 2006. Frédéric Perrot.
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