Eric Doussin |
J’étais en territoire ennemi. Fuyant les périls,
j’avais passé sans le savoir la frontière et j’étais à présent en danger de
mort. Je devais me cacher ; mais où se cacher, alors que tout, aux alentours,
n’était qu’une vaste étendue désertique, une étendue sans arbres, ni reliefs,
et où l’atmosphère même était viciée par une poussière rouge dont je n’ignorais
pas qu’elle était nocive ?
Et je marchais, je marchais, j’avançais au hasard, en
cherchant en vain à me couvrir le visage avec un vieux chiffon dégoûtant trouvé
dans la carcasse d’un véhicule. Je savais que la zone irradiée n’était
guère surveillée ; mais que dans le ciel, fendant la masse confuse des
nuages, pouvaient toujours apparaître des patrouilles héliportées qui feraient
feu immédiatement, sans sommation.
Dans ma situation, égaré au milieu de nulle part,
j’étais une cible rêvée et j’épiais anxieusement l’horizon, attentif à tout
bruit qui m’eût annoncé l’imminence de la fin… Les cadavres criblés de balles,
à moitié recouverts par le sable et que je considérais de loin, puisque je ne
voulais pas m’en approcher par peur de la contamination, rendaient mon angoisse
tangible et pénible.
J’avais aussi terriblement soif, la soif me harcelait.
Il n’y avait ni eau, ni même un petit caillou grâce auquel j’aurais pu la
tromper un moment. L’idée que j’allais mourir de soif me faisait soudainement
perdre la tête et je courais, éperdu, en proie à des hallucinations maladives.
Emporté par ma course, je trébuchais, je tombais. Le sable mêlé de poussière
rouge me brûlait le visage et je me relevais en un bond, comme fouetté.
J’essayais de me raisonner, mais je n’y parvenais pas, tant était aveuglante
cette évidence : de toutes les manières, j’allais mourir ici, en
territoire ennemi, loin de ceux que j’avais aimés et perdus.
Le texte appartient au recueil autoédité Les heures
captives (décembre 2012). Frédéric Perrot
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