dimanche 8 avril 2018

sur Soleil plouc de Laurent Bouisset




Pour avoir oublié le mot vouloir sur un caillou


Je tenterai de divaguer un peu sur le second livre de Laurent Bouisset, Soleil plouc, publié par les éditions du Pédalo ivre.

J’ai quelques principes sans doute assez futiles, auxquels j’essaie de me tenir quand il s’agit d’énoncer une opinion – toujours sujette à caution – sur un livre, un film, un disque, enfin ce que notre époque consumériste nomme dans son jargon un produit culturel.
Le premier de ces principes est simple : il ne faut parler que de ce que l’on aime. D’où découle logiquement le second et dernier : il faut taire ses déceptions… Je dois cependant bien reconnaître que je ne m’y tiens pas toujours, en particulier lorsque le vin est bon et que je me plais à épater la galerie, ce qui me vaut une réputation d’amer sceptique, de rouspéteur dédaigneux, voire de parfait cuistre immodeste ! 
Mais assez parlé de moi. Ce n’est pas le sujet !

Je dirai donc que j’aime les poèmes de Laurent Bouisset, quand il est sérieux, pour ne pas dire grave. Il signe alors ses meilleurs textes et ceux avec lesquels je suis en accord complet, Les mots (« les mots d’eux-mêmes dessinent leur gouffre ») ou Combat (« résumer tout à un combat/c’est la défaite »). Ces poèmes ont une dimension réflexive et ce n’est sans doute pas insulter l’auteur de dire qu’ils traduisent un certain pessimisme philosophique et esthétique :
« un coup d’archet ajoute ouvrir/et je tressaille…/je me dis : quel grand verbe !/quelle puissance d’évasion en deux syllabes !/pour ce qui est de l’employer, je reste court… » (Les mots)
Ce pessimisme imprègne nombre de poèmes et aboutit parfois à des formulations délirantes (dans l’apocalyptique Poubelles) que l’on est en droit de trouver tout à fait contestables : « après tout merde, nos vies/se sont accommodées/de la noirceur… ». (Silence gêné)  « Hum… Oui, peut-être, je ne suis pas sûr, j’en doute même fortement ! »

Je préfère à cette amertume, facilité qui consiste à conclure tristement, on l’imagine bien, les éclairs de vraie poésie – qui ne sait qu’il en est beaucoup de fausse ? – qui vous saisissent par surprise et dont je donnerai seulement deux exemples, le premier étant le plus convaincant :
« pour avoir oublié le mot vouloir sur un caillou/j’ai regardé ma vie sans haine » (dans l’excellent Un sourire vrai, que Laurent Bouisset dédie à ses amis guatémaltèques)
« chercher bien sous/ma peau de hyène/le silence apeuré/d’un oiseau frêle » (Lumière)

 Je noterai aussi qu’il y a dans plusieurs poèmes  « un mystère » du meilleur effet, qui en y réfléchissant, était peut-être présent dans le recueil précédent, Dévore l’attente, sans que cela ne m’ait frappé.
Ce sont des poèmes énigmatiques, indécidables, qui résistent. Je pense au très beau Frisson et à son étrange assaut en pleine rue de « poulpes morts », et dont les derniers vers, que je ne prétends pas comprendre, paraissent ouvrir un abîme…
Je préciserai que Laurent Bouisset, contrairement à certains poètes livides – qui croient avoir tout dit en se prétendant mallarméens – ne joue pas au « grand ténébreux » ou à « l’oracle de sous-préfecture ». Le « mystère » est palpable, et non recherché et je rappellerai ici ces quelques lignes toujours utiles d’André Breton :
« Le mystère recherché pour lui-même, introduit volontairement – à toute force – dans l’art comme dans la vie, non seulement ne saurait être que d’un prix dérisoire, mais encore apparaît comme l’aveu d’une faiblesse, d’une défaillance. »

Plus proches du premier livre déjà évoqué, sont les poèmes que je dirai « politiques », faute d’un adjectif meilleur : le très sombre Mexique et le rageur La préfecture des étrangers, qui je ne sais pourquoi me fait penser aux Assis de Rimbaud. Ce sont dans cette veine, celle de l’indignation justifiée, les deux poèmes les plus réussis selon moi.

Je noterai que parmi mes poèmes préférés, il y a ceux que Laurent Bouisset consacre à ses proches : l’amusant Une chose pénible, écrit sur un principe de révélation retardée, emprunté à Madame de Sévigné – oui, oui, vous avez bien lu, Laurent Bouisset connaît aussi ses lettres classiques ! – et qui raconte comment la vie domestique empêche de prendre son propre désespoir au sérieux. Ou le cocasse (« je venais simplement de débouler/guitare au dos comme Kurt Cobain ») et bouleversant Grand-père, un des sommets du recueil. Ou le très beau poème final, dédié à sa femme, Anabel, qui en effet fait événement :
« l’événement stupéfiant que je recherche/(…) il n’attend pas du tout planqué/dans la drogue dure/au bout du monde…/il ne patiente pas non plus dépité/dans l’indicible ou l’inconnu…/il dort à mes côtés tout simplement/et je l’ignore…/je le saurai après ma mort/qu’il avait lieu/tous les jours/devant moi…/l’événement/c’était toi » (L’événement)

« Ah bravo, monsieur Bouisset, j’applaudis des deux mains ! »
Tant il me semble que nombre de poètes contemporains, dans leur désir de se hausser, de balancer au monde leurs quatre pauvres vérités dans des sortes d’ultimatums ridicules – « C’est Moi ou le monde » – comme s’ils étaient sur une estrade, oublient simplement l’amour, ce beau titre d’Eluard (L’amour la poésie) ou encore cette phrase de Breton, qui m’a toujours fait rire et dont l’effet est garanti face à des élèves de collège : « La poésie se fait dans un lit comme l’amour ». Admirable André Breton !

Je ne parle pas au hasard des élèves de collège, mais en pensant à un poème vraiment surprenant, Miroir, dans lequel Laurent Bouisset parvient à écrire quelque chose de juste sur un sujet aussi rédhibitoire (pour moi) que l’Education nationale, l’angoisse et « l’illégitimité » des enseignants ou le néant d’une salle des profs…

Enfin, pour le seul plaisir ironique, ces trois vers que dans une autre vie, j’aurais peut-être attribués à Cioran, ce qui de ma part n’est pas un mince éloge : « imaginez quelle déception/si cherchant Dieu/on le trouvait… » (Sainte-Victoire)

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Voilà, ce sera à peu près tout.

Mais on remarquera que je m’en suis tenu à mes principes et que ma grande modestie m’aura retenu de préciser ce qui me plaît moins, dans ce nouveau livre de Laurent Bouisset ! Gardons pour nous nos petites déceptions. Comme l’écrivait à peu près Maurice Blanchot, la déception sera « toujours insuffisante ».


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