Pour avoir oublié le mot vouloir sur un caillou
Je tenterai de divaguer un peu sur le
second livre de Laurent Bouisset, Soleil plouc, publié par les éditions du Pédalo ivre.
J’ai quelques principes sans doute assez
futiles, auxquels j’essaie de me tenir quand il s’agit d’énoncer une opinion –
toujours sujette à caution – sur un livre, un film, un disque, enfin ce que
notre époque consumériste nomme dans son jargon un produit culturel.
Le premier de ces principes est
simple : il ne faut parler que de ce que l’on aime. D’où découle
logiquement le second et dernier : il faut taire ses déceptions… Je dois
cependant bien reconnaître que je ne m’y tiens pas toujours, en particulier lorsque
le vin est bon et que je me plais à épater la galerie, ce qui me vaut une
réputation d’amer sceptique, de rouspéteur dédaigneux, voire de parfait cuistre
immodeste !
Mais assez parlé de moi. Ce n’est pas le
sujet !
Je dirai donc que j’aime les poèmes de
Laurent Bouisset, quand il est sérieux, pour ne pas dire grave. Il signe alors
ses meilleurs textes et ceux avec lesquels je suis en accord complet, Les mots (« les mots d’eux-mêmes dessinent leur gouffre ») ou Combat (« résumer tout à un combat/c’est
la défaite »). Ces poèmes ont une dimension réflexive et ce n’est sans
doute pas insulter l’auteur de dire qu’ils traduisent un certain pessimisme
philosophique et esthétique :
« un
coup d’archet ajoute ouvrir/et je
tressaille…/je me dis : quel
grand verbe !/quelle puissance d’évasion en deux syllabes !/pour ce qui est de l’employer, je reste
court… » (Les mots)
Ce pessimisme imprègne nombre de poèmes et
aboutit parfois à des formulations délirantes (dans l’apocalyptique Poubelles) que l’on est en droit de
trouver tout à fait contestables : « après tout merde, nos vies/se sont accommodées/de la noirceur… ».
(Silence gêné) « Hum… Oui,
peut-être, je ne suis pas sûr, j’en doute même fortement ! »
Je préfère à cette amertume, facilité qui consiste à conclure tristement, on l’imagine
bien, les éclairs de vraie poésie –
qui ne sait qu’il en est beaucoup de fausse ? – qui vous saisissent
par surprise et dont je donnerai seulement deux exemples, le premier étant le
plus convaincant :
« pour
avoir oublié le mot vouloir sur un
caillou/j’ai regardé ma vie sans haine » (dans l’excellent Un sourire vrai, que Laurent Bouisset
dédie à ses amis guatémaltèques)
« chercher
bien sous/ma peau de hyène/le silence apeuré/d’un oiseau frêle » (Lumière)
Je
noterai aussi qu’il y a dans plusieurs poèmes
« un mystère » du meilleur effet, qui en y réfléchissant,
était peut-être présent dans le recueil précédent, Dévore l’attente, sans que cela ne m’ait frappé.
Ce sont des poèmes énigmatiques, indécidables, qui résistent. Je pense au
très beau Frisson et à son étrange
assaut en pleine rue de « poulpes
morts », et dont les derniers vers, que je ne prétends pas comprendre,
paraissent ouvrir un abîme…
Je préciserai que Laurent Bouisset,
contrairement à certains poètes livides – qui croient avoir tout dit en se
prétendant mallarméens – ne joue pas
au « grand ténébreux » ou à « l’oracle de
sous-préfecture ». Le « mystère » est palpable, et non recherché et je rappellerai ici ces
quelques lignes toujours utiles d’André Breton :
« Le mystère recherché pour lui-même, introduit volontairement – à toute
force – dans l’art comme dans la vie, non seulement ne saurait être que d’un
prix dérisoire, mais encore apparaît comme l’aveu d’une faiblesse, d’une
défaillance. »
Plus proches du premier livre déjà évoqué,
sont les poèmes que je dirai « politiques », faute d’un adjectif
meilleur : le très sombre Mexique
et le rageur La préfecture des étrangers,
qui je ne sais pourquoi me fait penser aux Assis
de Rimbaud. Ce sont dans cette veine, celle de l’indignation justifiée, les
deux poèmes les plus réussis selon moi.
Je noterai que parmi mes poèmes préférés,
il y a ceux que Laurent Bouisset consacre à ses proches : l’amusant Une chose pénible, écrit sur un principe
de révélation retardée, emprunté à Madame de Sévigné – oui, oui, vous avez bien
lu, Laurent Bouisset connaît aussi ses lettres classiques ! – et qui
raconte comment la vie domestique empêche de prendre son propre désespoir au
sérieux. Ou le cocasse (« je venais
simplement de débouler/guitare au dos comme Kurt Cobain ») et
bouleversant Grand-père, un des
sommets du recueil. Ou le très beau poème final, dédié à sa femme, Anabel, qui
en effet fait événement :
« l’événement
stupéfiant que je recherche/(…) il n’attend pas du tout planqué/dans la drogue
dure/au bout du monde…/il ne patiente pas non plus dépité/dans l’indicible ou
l’inconnu…/il dort à mes côtés tout simplement/et je l’ignore…/je le saurai
après ma mort/qu’il avait lieu/tous les jours/devant moi…/l’événement/c’était
toi » (L’événement)
« Ah bravo, monsieur Bouisset,
j’applaudis des deux mains ! »
Tant il me semble que nombre de poètes
contemporains, dans leur désir de se
hausser, de balancer au monde leurs quatre pauvres vérités dans des sortes
d’ultimatums ridicules – « C’est Moi
ou le monde » – comme s’ils étaient sur une estrade, oublient
simplement l’amour, ce beau titre
d’Eluard (L’amour la poésie) ou
encore cette phrase de Breton, qui m’a toujours fait rire et dont l’effet
est garanti face à des élèves de
collège : « La poésie se fait dans un lit comme l’amour ».
Admirable André Breton !
Je ne parle pas au hasard des élèves de
collège, mais en pensant à un poème vraiment surprenant, Miroir, dans lequel Laurent Bouisset parvient à écrire quelque
chose de juste sur un sujet aussi
rédhibitoire (pour moi) que l’Education nationale, l’angoisse et « l’illégitimité » des enseignants ou
le néant d’une salle des profs…
Enfin, pour le seul plaisir ironique, ces
trois vers que dans une autre vie, j’aurais peut-être attribués à Cioran, ce
qui de ma part n’est pas un mince éloge : « imaginez quelle déception/si cherchant Dieu/on le trouvait… »
(Sainte-Victoire)
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Voilà, ce sera à peu près tout.
Mais on remarquera que je m’en suis tenu à
mes principes et que ma grande modestie m’aura
retenu de préciser ce qui me plaît moins, dans ce nouveau livre de Laurent
Bouisset ! Gardons pour nous nos petites déceptions. Comme l’écrivait à
peu près Maurice Blanchot, la déception sera
« toujours insuffisante ».
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