« Il n’est aucun bien du monde
qu’un examen lucide ne fasse apparaître en définitive comme dérisoire et
indigne d’attention, ne serait-ce qu’en considération de sa constitution
fragile, je veux dire de sa position à la fois éphémère et minuscule dans
l’infinité du temps et de l’espace. L’étrange est que cependant la joie demeure,
quoique suspendue à rien et privée de toute assise. C’est même là le privilège
extraordinaire de la joie que cette aptitude à persévérer alors que sa cause
est entendue et condamnée, cet art quasi féminin de ne se rendre à aucune
raison, d’ignorer allègrement l’adversité la plus manifeste comme les
contradictions les plus flagrantes : car la joie a ceci de commun avec la
féminité qu’elle reste indifférente à toute objection. Une faculté de
persistance incompréhensible permet à la joie de survivre à sa propre mise à mort,
de continuer à parader comme si de rien n’était ; un peu à la façon de ces
vers qui, bien que coupés en deux et en quatre, n’en continuent pas moins à se
remuer et à progresser vers leur but aveugle, ou encore de ce mandarin
merveilleux, mis en musique par Bela Bartok, qu’aucun coup de poignard ne
réussit à achever. »
(Clément Rosset, La force majeure)
Grand lecteur de Nietzsche et de Cioran, le philosophe Clément Rosset est mort le 27 mars 2018.
Clément Rosset |
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Clément Rosset - Site Officiel
https://clementrosset.com/
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