Il semble que je sois guetté par un
destin potager. Ainsi ai-je constaté que des feuilles vertes et abondantes me
poussent derrière la tête. Si mon profil en souffre certainement, l’essentiel
est que cela me gêne dans mon commerce avec mes semblables que froisse tant de verte
exubérance. Mais cela me démange également, à la racine je dois le dire, de
mes cheveux dont j’emprunte au navet le désordre et que je n’ose plus laver
tant il me déplaît de devoir arroser ces jeunes pousses qu’après tout je n’ai
pas désirées. Il me faut préciser que mon coiffeur, à ses heures jardinier,
répugne à les couper et qu’il s’en excuse, bien légèrement selon moi, en
prétendant qu’il ne possède pas de sécateur parmi ses accessoires et craint d’user
ses ciseaux. Et ce n’est hélas pas tout…
De l’endive mon visage a attrapé la pâleur maladive ; tandis que
mes oreilles sont deux poires d’une apparence si onctueuse que je dois
repousser toute une foule d’importuns qui sous le prétexte fallacieux de me faire
des confidences ne désirent en vérité que croquer à belles dents. Une tomate
rouge et ronde s’étant installée à la place de mon nez, je suis en outre sujet
à tous les quolibets et de son armoire j’ai dû ressortir l’affreuse écharpe à
pois de mon enfance en guise de cache-nez. Mes dix doigts ayant acquis du radis
l’aspect boudiné et l’extrémité filandreuse, cela m’évite au moins
d’avoir à serrer la main aux Amis de la Nature qu’il m’arrive de croiser dans
les vergers où m’entraîne irrésistiblement mon errance solitaire. Bien malgré
moi encore, je prends en sympathie les hideuses jardinières dont les citadins
aiment à orner le bord de leurs fenêtres et je fleuris les tombes de tous les
cimetières du voisinage. « Est-ce une vie, est-ce une vie ? »,
serais-je parfois tenté de demander au saule pleureur, si je ne veillais à ce
que ma raison s’égare…
Tant il est bien évident que cette existence végétale ne saurait me
convenir et que je ne peux songer sans frémir au jour où tout cela commencera à
pourrir…
Frédéric Perrot
Arcimboldo, Hiver |
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