Et
je m’enfuis, je m’enfuis de la maison de santé. C’est le nom pudique que l’on
donne ici à l’établissement où l’on m’a enfermé de force. Et je m’enfuis, je
m’enfuis, je ne cesse de m’enfuir ! Mais il me faut me frayer un passage à
travers une véritable marée humaine, des hommes et des hommes qui
piétinent sur place, ont le regard vide et émettent tous en guise de paroles
une sorte de bourdonnement pareil à celui d’une mouche qui se heurte de façon
absurde contre une vitre… Et je m’enfuis, je m’enfuis, en me frayant péniblement
un passage à travers cette foule compacte animée d’un vague mouvement, comme
dans une fête populaire, un carnaval. Une voix me murmure à l’oreille :
« Regarde, regarde, le portique n’est pas loin, ils pourraient tous
s’enfuir mais aucun n’en a même le désir, tu n’as rien à craindre du gardien
assis à côté du portique, il est ivre du soir au matin et sa présence doit
seulement suggérer à toutes ces têtes vides l’idée de surveillance… » Et en
effet, il y a un portique, comme dans un aéroport, à côté duquel, sur une
chaise, une masse sombre est en plein délire alcoolique, secouée de soubresauts
convulsifs… Horrible spectacle.
M’arrachant
d’un coup à cette glu humaine en une espèce de saut maladroit, je passe sous le
portique et sans transition me retrouve dans un décor tout différent, sur un
chemin, au milieu de nulle part et où chacun de mes pas m’est un effort
insensé, tant le chemin est boueux… Décidément, quelle fuite immobile ! En
sens inverse, apparaissent un enfant affreux et une femme. Avec ses oreilles en
pointe et son long nez pendant comme une trompe obscène, l’enfant correspond
plutôt à l’idée assez confuse que je me fais d’un diablotin : il
rit horriblement ! « Regarde, regarde, un fou qui essaie de s’enfuir ! »
La femme ne dit rien, semblant perdue dans la contemplation du vide. Soucieux
de mettre un terme à cette dérision et à cet horrible rire, j’avise
opportunément sur le bord du chemin un énorme vase de style antique que je
soulève, et que de toutes mes forces je précipite dans la direction de
l’enfant. Touché ! Sans un cri l’enfant s’écroule sur le sol, le crâne écrabouillé,
ce qui n’est pas pour me déplaire. La femme s’en va, poursuit sa promenade,
comme si de rien n’était, peu importe. Et je m’enfuis, je m’enfuis, je me
remets à m’enfuir ! Mais contre toute attente le chemin commence à se
soulever de plus en plus, jusqu’à devenir une paroi verticale, du haut de
laquelle je tombe, mon interminable chute signant la fin de cette
fantasmagorie.
Frédéric Perrot
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