Hambourg |
Touché
par un poème de Louis-René des Forêts qui raconte comment un enfant, « celui qu’on disait un garçon intraitable », revient dans les rêves et l’insomnie de
l’adulte pour le juger sévèrement, j’ai proposé à quelques camarades d’écriture
de s’emparer de cette idée, de ce thème, pour en proposer leur propre version. Voici
avec la mienne les cinq contributions. Merci à Olivier Saint-Eve, Michel Meyer,
Martine Colledani et Sylvia Undata. Frédéric Perrot
Pour
lire le poème de Louis-René des Forêts :
https://beldemai.blogspot.com/2024/02/celui-quon-disait-un-garcon-intraitable.html
Coupable
Tu veux dormir ?
Mais sans moi
Tu ne te réveillerais pas
As-tu oublié
Les courses endiablées
Les révoltes puériles
Et les rêves fantastiques ?
Comme les gens étaient grands
Autour de toi
Comme ils étaient vieux
Parents, famille, étrangers
Le goût des fruits
Nouveau, subtil
La beauté des filles
Le mystère des mots
La délicatesse
D’une fleur
D’un sourire
En toi
Partout
Maintenant te voilà
Es-tu digne de tout cela ?
Laisse-moi au moins
Cette nuit
Misérable statue
Je devrais être toi
Olivier Saint-Eve – Mercredi 21 février
Il y a
plusieurs façons de mal comprendre les choses
Les asymptotes, la figure mathématique des asymptotes, c’est ce
qui me vient immédiatement à l’esprit quand je pense à la rencontre de ces deux
moments de la personne humaine, cette courbe de la vie, dont je ne saurais dire
si elle est ascendante ou descendante. C’est une histoire où la réalité
rencontre l’idéal.
L’adulte cajolerait beaucoup l’enfant, l’harnacherait
terriblement aussi, regarderait souvent ailleurs pour ne pas laisser voir dans
ses yeux la honte, la peur et l’ignorance dans laquelle il vit. L’enfant le
regarderait de ses grands et beaux yeux admiratifs, comprendrait mal ce qu’il
pressent de faux dans le discours qu’il entend, n’imaginerait pas qu’il soit d’ailleurs
possible qu’il y ait la moindre fausseté dans ce qu’il entend, n’en tiendrait
sans doute pas compte, commencerait à se dissocier.
L’enfant poserait sans relâche des questions, renverrait à l’adulte
des reflets idéalisés de lui-même, serait tellement fier d'être l’enfant de ce
qu’il deviendrait par la suite. L’adulte le protégerait, lui achèterait une
Playstation pour voir briller la joie dans ses yeux, pour s’en défaire un peu
aussi, aurait parfois un peu de mal à supporter l’exigence d’idéalité de l’enfant
qu’il était.
Mettons qu’ils se rencontrent dans un endroit où le lien qui les
unit n'existe pas, ils seraient tous deux des êtres complets et autonomes, se
retrouveraient en présence dans un train. L'enfant fixerait l'adulte qui,
préoccupé par une quelconque vicissitude, aurait les yeux tournés vers l’intérieur.
L’enfant serait très grave, car pour lui la vie est très sérieuse, il n’aurait
aucun humour, juste de grands yeux qui observent et enregistrent le monde dans
lequel il a été invité. Au détour d’un virage l’adulte rencontrerait les yeux
de l’enfant, lui sourirait, l’enfant serait gêné, détournerait les yeux et
fermerait la bouche, se replierait dans son être d’enfant. Le train contenant
les deux stades d’un même être traverserait un paysage, et disparaîtrait dans
une portion différente du paysage. Quelqu’un d’autre, depuis ce même paysage,
regarderait le train s'enfoncer dans le lointain, se souviendrait.
Michel Meyer – février 2024
D’un épais linceul de silence
D’un épais linceul de silence
Surgit une voix de commandement
Je voudrais répondre avec insolence
Mais je tremble comme pris en faute
La peur m’empoisonne l’existence
Raide dans son uniforme de soldat
Le petit fantôme apparaît
Le visage crispé par la haine
Il marche de long en large
En aboyant des ordres
Dans une langue étrange
Que je ne reconnais pas
Qu’est-ce que cette mascarade ?
Je sais qui il est
Je n’ai aucun doute à ce sujet
Mais cela me déplaît
En me redressant dans mon lit
Ironique camarade
Je me mets à siffloter
Afin qu’il mesure bien
Le peu de cas que je fais
De sa ridicule parade
Sa colère est immense immédiate
En sautillant sur place
Il commence à parler comme un livre
D’une voix précipitée et pédante
Réel tir de mitraillette
Et soudain je le comprends !
C’est un long réquisitoire
Un interminable procès à charge
Il me rappelle mes hontes et mes échecs
Il n’en oublie aucun
Et il semble certain qu’il exigera ma
tête !
Un instant j’ai envie de me jeter sur lui
Pour lui infliger la correction qu’il
mérite
Fesser le petit dictateur serait un vrai
plaisir
Mais je baille bruyamment
Tant tout cela m’ennuie…
Sa colère retombe et comme un enfant
Brisé par le chagrin éclate en sanglots
Cela devrait me le rendre proche
Hélas je suis trop vieux et trop cynique
Je dois me lever tôt et ne veux que dormir
Et d’une voix douce lui demande de partir
Frédéric Perrot
Si
Si l’enfant au fond de moi mourait,
je ne serais plus rien que
larve pourrissante.
Sur les lignes ondulantes des cahiers à
carreaux,
je n’irais plus me promener vers ces
claires fontaines
où le temps déclinait marelles et feux follets
dans les allées sableuses du voisin
cimetière.
Allègre, j’y faisais courir fantômes et
fantasmes
et mille lapins blancs arrachés de mes
mains
aux tenailles de la mort.
Si l’enfant au fond de moi mourait
les montagnes magiques et leurs sommets
tout bleus
fondraient, fondraient profond aux
entrailles de la terre.
Et il n’y aurait plus d’arnica ni fougère
ni cette odeur subtile à la fois âcre et
miel
que chaque été engrange au creux de ses
aisselles.
Un été blond de foin dans lequel se rouler
à cœur joie, à corps nu,
les genoux, yeux et bras léchés par le
soleil.
Si l’enfant au fond de moi mourait,
toute la neige des pages fondrait sans
avoir eu
l’aval d’un printemps tout fleuri, vraiment
doux très vert.
Et ce grand lit de plumes d’où émanent
tous mes rêves
rendrait l’âme bien avant de faire lire
ces histoires,
ces histoires de ma vie, qu’elle soit
douce ou cruelle
qu’un vent rieur et fou a, avec très grand
soin,
écrit sans une rature à l’encre de ses
ailes.
Martine Colledani
L’enfant n’était pas encore…
Il dormait dans l’origine des sources
Les yeux clos sur l’infini des possibles
Pas de regard sur le monde
Pas les clous du réel
Sa beauté éclairait l’eau et l’arbre
La paix lissait son visage
Les vents libres psalmodiaient
Le Loup l’appela…
Ses yeux s’ouvrirent
Le chemin se traça dès lors
Ardu et long
Pentu et rempli de hautes marches
Il marcha
Malgré les zébrures de la haine sur la
peau du monde
Malgré le nombre incroyablement clairsemé
des sourires
Il grava sa foi dans les pierres
Puis…
L’enfant posa son incrédulité sur les
dorures
Il écrivit les mélodies de sa tristesse
Il chanta les mélopées de ses
incompréhensions
Il dansa ses jeux innocents si vite
faussés
Dans ses sourcils toujours plus froncés
Il ancra les points de ses interrogations
Il fixa vos certitudes nourries de
craintes
Vous offrit la larme de sa déception
Enfin…
Il grandit
Et sa silhouette d’ange disparut
Dans les paupières agitées des rêves
Laissant derrière lui un vague trouble
La brume de ce qui aurait pu être
Sylvia Undata (extrait de « Danses
Incertaines » autoédition reliée main)
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