dimanche 4 février 2024

Cioran, Fenêtre sur le Rien (notes au fil de la lecture)

 



L’imbécile fonde son existence sur ce qui est. Il n’a pas découvert le possible, cette fenêtre sur le Rien…

 

L’acte de triomphe suprême sur le monde, aussi distant des extrémités de la joie que de celles de la tristesse, est une indifférence rêveuse qui oriente notre pensée vers des êtres inconnus, étrangers au soleil comme à la nuit, et que nous ne rencontrerions qu’ailleurs, dans une contrée neutre de notre imaginaire.

 

L’incompréhensible effort réalisé pour transformer au plus vite une quelconque femme en idole, afin de mieux piétiner ensuite l’autel de ce leurre, cette alternance de culte et d’écœurement, le besoin d’illusion et l’impossibilité de ne souscrire à aucune d’entre elles te transforment en un Don Quichotte cynique.   

 

Lorsque tu te relis, tu es surpris par la sincérité de toutes ces pages, si nombreuses et si mal écrites. Le style est un masque et une fuite.

 

Aucune herbe anesthésiante n’est assez puissante pour émousser durablement ma veille. Le véritable somnifère, c’est la mort.

 

Après avoir dépensé tant de forces à construire des cauchemars, il n’est pas étonnant que nous soyons incapables, durant la journée, d’ajouter à la fadeur des instants la moindre énergie, le moindre souffle. Notre vitalité est consumée par nos rêves nocturnes ; son absence nous place devant le monde pur, sans la moindre transformation qui serait due à notre imagination.

Vagabonds sublimes dans notre sommeil, nous devons, une fois réveillés, nous réduire à des ratés ; nous payons notre vaillance nocturne par notre lâcheté diurne. Aux ennemis que nous avons assassinés en rêve, nous tendons la main, dans la rue, avec un sourire.

 

Tant de poètes où la tristesse abonde à cause d’un génie insuffisant… La distance qui les sépare de l’expression absolue, ils la remplissent par de vibrantes déficiences.  Ainsi deviennent-ils de grands poètes grâce à la tristesse qui cache leur impuissance. Les poètes mineurs sont plus sombres que ceux qui ont été pleinement dotés. C’est que la tristesse est plus facile que le génie : elle exige seulement un peu de maladie et un semblant de talent.

 

Les grands de ce monde ne savent que trop l’impossibilité de diriger les foules sans la fausse nourriture des croyances. Leur occupation consiste à les gaver de mystifications passées au vernis de la vérité. Une fois prises au jeu, désormais incapables de douter, elles acceptent les lois, l’oppression et la guerre. L’Histoire ? L’excitation des meutes humaines au moyen d’idéaux. 

 

                                                                                   Décembre 2023

 

Cioran, Fenêtre sur le Rien

Traduit du roumain par Nicolas Cavaillès

 

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