8
L’Océan
de la vie a surgi en secret,
La perle
du savoir, nul n’a pu la forer.
Chacun va
divaguant, poursuivant sa chimère,
Personne
cependant n’a pu dire le vrai.
10
De la
ronde éternelle, arrivée et départ,
Le début
et la fin échappent au regard.
D’où
venons-nous, où allons-nous ? Jamais personne
N’a dit
la vérité là-dessus nulle part.
20
Si tu
passas tes jours auprès de ton amie,
Si tu fis
des plaisirs ton étude suivie,
La mort
viendra pourtant. Le passé fut un rêve
Que tu
continuas durant toute ta vie.
25
Si, de
cet univers, j’étais le Dieu puissant,
Comme je
l’enverrais tout entier au néant
Et le
rebâtirais, afin que l’homme libre
Y puisse
de bonheur trouver tout son content !
32
Mon cœur,
puisque ce monde est une illusion,
Pourquoi
t’humilier de tant de passion ?
Aie foi
dans ton destin, supporte ta souffrance.
Tout est
écrit : pour toi, nulle autre version.
34
Le bien,
le mal qui sont au fond de l’être humain,
La
tristesse et la joie qu’apporte le destin,
Accepte-les,
sans disputer contre la Roue
Qui ne
sait raisonner que mille fois moins bien.
35
Le jour
de ma jeunesse, hélas, s’est écoulé,
Le frais
printemps de l’existence est envolé
Et je
n’ai pas compris, ce bel air de jeunesse,
Quand il
était venu, quand il s’en est allé.
36
J’ai
maintenant perdu le fruit de mon effort.
Oh !
que de cœurs brisés à l’heure de la mort !
Et nul
n’est revenu de là-bas pour me dire
Des
voyageurs partis ce que devint le sort.
51
Quand
nous n’y serons plus, le monde sera là ;
Nulle
trace de nous alors ne restera.
Ce monde où
nous n’avions, avant, pas d’existence,
Tout
pareil, après nous, il se conservera.
56
Ce palais
qui dressait jusqu’aux cieux ses tourelles,
Qui
paraissait des rois la demeure éternelle,
J’entendais
une voix sur ses créneaux brisés :
« Où,
où est tout cela » disait la tourterelle.
61
Le nuage
a versé ses pleurs sur le verger.
Vivre
sans le vin rose, il n’y faut pas songer.
Nos yeux
voient ce champ vert ; demain, quelles prunelles
Verront
de nos corps morts l’herbe verte émerger ?
75
J’ai pour
foi la gaîté, la vermeille boisson,
Croire ou
ne croire pas, c’est ma religion.
« Quelle
est ta dot, ma fiancée ? », disais-je au Monde.
« La
gaîté de ton cœur. » est ce qu’elle répond.
86
Le Cheikh
a dit à une fille : « Tu es ivre,
On voit à
chaque instant un autre homme te suivre. »
« Cheikh,
c’est vrai, dit la fille, et je fais tout cela,
Mais
toi-même, vis-tu comme tu devrais vivre ? »
93
Puisqu’il
n’est pas pour nous de place dans ce monde,
Manquer
d’amour, de vin, serait erreur profonde.
S’il fut
ou non créé, pourquoi t’en soucier ?
Mort,
qu’importe sur quoi cet univers se fonde !
104
Je vis un
libertin couché sur le gazon,
Niant
Islam, péché, monde, religion,
Justice
et vérité, la loi, la certitude…
Qui dans
ce monde ou l’autre aurait un tel aplomb ?
108
De croire
à blasphémer qu’y a-t-il ? Un soupir.
Entre la
certitude et le doute ? Un soupir.
Ce
précieux soupir, tires-en jouissance,
Car notre
vie aussi s’achève en un soupir.
111
La lune a
déchiré la robe de la nuit.
Bois du
vin maintenant : cela seul réjouit.
Profite
du bonheur ; bientôt le clair de lune
Sur notre
tombe à tous rayonnera sans bruit.
117
Buvons ce
vin de rose à l’heure où naît l’aurore
Et
brisons ce cristal du bien, du mal, encore.
Quittant
nos vieux espoirs, caressons seulement,
Belles,
vos longs cheveux et la harpe sonore.
119
Au temps
des fleurs, au bord d’une rivière assis
Près de
jeunes beautés, dans l’ombre d’un taillis,
Nous,
buveurs matinaux qu’on nous porte nos coupes,
Nous qui
ne cherchons pas mosquée ou paradis.
125
Pourquoi
scruter ainsi cette voûte insondable ?
Bois
gaîment pour passer ce temps impitoyable.
Lorsque
viendra ton tour, tu ne te plaindras pas,
Car
chacun doit goûter la coupe inévitable.
143
Veux-tu
en égoïste ainsi vivre sans cesse,
Méditer
l’être ou le néant ? Vaine sagesse !
Bois du
vin : il vaut mieux consacrer cette vie
Porteuse
de chagrin au sommeil, à l’ivresse.
Sadegh
Hedayat
Les
Chants d’Omar Khayam
Edition
critique
Traduit
du persan par M.F. Farzaneh et J. Malaplate.
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