Eric Doussin, Ordinary People |
Pour
Matthieu,
L’imagination
me manque : comme une femme aimée que l’on ne voit que trop
rarement… Les retrouvailles espérées s’avèrent décevantes. L’imagination comme
la femme, n’a rien à me dire de particulier.
Mais
que serais-je, si je devais renoncer à ce qui me manque ?
Le
passager du train – Un certain degré de fatigue génère une imagination nerveuse
et angoissée. Ce sont de ces
cauchemars éveillés, où des amis meurent dans des circonstances atroces,
égorgés dans la nuit par leur nouveau colocataire ; où l’on se figure que
le passager du train en face de soi est un fanatique qui d’un moment à l’autre,
va sortir de son sac de sport une arme de guerre et abattre le plus grand
nombre possible de voyageurs… Comme on est juste en face de lui, on sera
inévitablement parmi les premières victimes et on surveille avec épouvante son
sommeil, qui ne peut être qu’un leurre…
Ces maléfices d’une imagination dévoyée sont si insidieux et puissants, que
c’est à peine si l’on prend conscience que le passager en question – un
inoffensif sportif sans doute, au retour d’une compétition ! – vient de se
lever et de quitter le train… Et si le soulagement est grand, plus grand encore
est l’épuisement qu’ont provoqué tous
les excès d’une imagination aberrante.
Sans
répit – Si par bonheur, notre angoisse faiblit jusqu’à devenir sourde, cela ne
durera jamais très longtemps… Il nous suffira d’allumer notre ordinateur ou
notre radio, pour que presque
aussitôt toutes les atrocités du monde nous sautent à la gorge !
L’imagination
sans frein – L’imagination est parfois une pente sur laquelle on glisse de plus
en plus rapidement ; et c’est à juste titre que l’on parle d’imagination sans frein… Les délires d’un jaloux ne
sont peut-être dus qu’à un excès d’imagination, à une surinterprétation
anxieuse de détails insignifiants… Le jaloux ne tient aucunement compte de tout
ce qui contredit sa conviction, qui n’est à l’origine qu’une construction de
l’esprit : « Ma compagne est
une garce infidèle qui se moque de moi… » Et même confronté à
l’évidence – « Je me trompais, ce n’était pas cela » – le jaloux
s’efforcera toujours de chercher des preuves,
que son imagination débridée lui fournira, aimablement. C’est en cela que
l’expression « fou de jalousie »
a beaucoup de sens.
L’imagination
créatrice – Elle est la seule forme d’imagination à laquelle nous devons
aspirer. Mais malheureusement elle manque… Comme elle manque…
Juin 2018,
version revue septembre 2020
Frédéric
Perrot
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