« Le
brouillon le plus génial de tous les temps », disait un ami, ayant trouvé
la formule exacte pour Freaks, le deuxième album de Pulp (1987). Enregistré
en une semaine avec les moyens très limités du bord, sans doute vendu à
l’époque à quatre exemplaires et totalement renié par Jarvis Cocker, qui
rechigne à chanter son ancien répertoire, Freaks reste un album à part,
un objet fascinant…
Le projet de l’album est défini sur sa
pochette assez hideuse, d’un jaune maladif : « Ten stories about
power claustrophobia suffocation and holding hands ».
Le mot « stories » est
exact. Jarvis Cocker déjà à l’époque écrit de courtes nouvelles plutôt que des
chansons. C’est évidemment le cas de Being followed home, l’un des
sommets de l’album, qui commence par des bruits de pas et présente un récit au
rythme paranoïaque, dont il ne faudrait pas mésestimer la dimension
fantasmatique. Le rêve se mêle à la réalité. Le narrateur avoue être fou ou du
moins obsessionnel et torturé : « My mind is a blur/I feel so
weak/I see your reflection/In the streets/It’s what you deserve/It’s what you
need/Just like those stupid books you read/I look to the sky/I see your face »
Freaks est un album malade,
presque au bon sens du terme, une folie. Cela débute par un tour à la fête foraine (Fairground)
digne de David Lynch. On y va voir des monstres (Freaks est aussi le
titre du mémorable film de Tod Browning) et éclatent des rires de psychopathes que
l’on ne souhaiterait rencontrer sous aucun prétexte.
Il y a juste ensuite une sorte de slow
absolu dans le genre années 80 avec des chœurs naïfs et charmants (I want
you) mais féminicide, comme on dirait aujourd’hui : « Yes,
you’re all that I ever desire/Still I’ll kill you in the end ».
Il y a non moins des phrases qu’il faut oser
chanter, même dans ce cri de rage pathétique à la limite de l’absurde qu’est Master
of the Universe : « And now look what you have done/The master
masturbates alone in a corner of your home ». Il est vrai que comme
l’un de ses modèles, Jacques Brel, Jarvis Cocker ne craint pas l’impudeur
et aime appeler un chat un chat.
Tout l’album transpire le sexe frustré, la
dépression, l’angoisse. Cela vire parfois à la pure psychose avec hurlements (The
Never-Ending Story). D’autres titres semblent d’aimables plaisanteries post-punk
(Anorexic Beauty). Les musiciens ne jouent pas toujours très bien, c’est
parfois mal foutu et il y a ainsi un solo assez pourri dans la belle et
mélodique There’s no emotion, qui lorgne vers le Velvet Underground dans
sa version la plus pop. Mais à la guitare n’est pas Lou Reed qui veut !
L’album se conclut sur deux grands titres.
Don’t you know, parfaite pop-song menée par un clavier obsédant, ritournelle
au texte cruel… Et l’une des chansons les plus déprimantes que je connaisse, They
suffocate at night, où il est question de vide intérieur (« Two
years have passed/Two years of emptiness inside ») et d’une lettre que
l’on n’a pas envoyée finalement : « I wrote you a letter… »
Car c’est bien cela Freaks, un
grand disque sombre, d’une terrible sincérité, outré, théâtral… Tout cela
peut-être pour relater simplement l’éternelle histoire de la dissolution d’un
couple…
Il paraît selon les dires de Jarvis Cocker
lui-même que sa copine de l’époque venait à ses concerts pour écouter ses
paroles et savoir ce qu’il pensait d’elle.
Frédéric
Perrot
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