Nul panégyrique ici. Il n’y a que les esprits peu avertis pour croire
que les artistes doivent en plus être des gens bien. Le personnage Brel,
on s’en moque. Parfois Brel a joué à être Brel : mais qu’importe ?
Car avec lui, on parle d’homme à homme ; et au vrai, comme disait le
poète, quelle âme est sans défauts ?
Je tiens pour acquis que Brel a été très conscient de
ses tares et qu’au lieu de vouloir les combattre – pourquoi ? – il en a
joué, non sans un certain sens de l’autodérision (Jacky). Les dites
tares sont connues, identifiées et ont toujours fait fuir les gens de goût avec
horreur. C’est son sentimentalisme, son pathétisme, son côté ravi de la crèche
des débuts. À cela qui est le plus évident, on pourrait ajouter sa
misogynie ; et, en lui appliquant bêtement un concept contemporain, son
homophobie.
Mais Brel en effet n’est que rarement du meilleur goût ; et
c’est une première raison de l’aimer.
Brel est un homme déchiré ; et ses chansons sont le théâtre
où il s’expose.
Chanteur entier s’il en est, rétif par nature à un système dont le
vedettariat et l’éphémère, son écume, sont les vérités triviales, Brel ne tait
pas plus ses enthousiasmes, ses rêves naïfs ou ses espoirs fous, que ses
doutes, ses faiblesses, ses angoisses ou ses frustrations… Brel peut tout chanter ;
ce qui n’est pas un mince compliment.
D’un mot, Brel est d’une terrible sincérité et d’une
lucidité sans équivalent dans le microcosme futile de la musique de variété.
Ainsi s’explique par exemple son silence.
Considérant qu’il n’avait plus rien à dire, pendant dix ans, Brel a
préféré vivre. Il a voyagé, a emboîté le pas à Gauguin en partant pour
les Marquises, s’est passionné pour l’aviation… Avant de revenir, cancéreux et
le chantant, le temps d’un disque inconfortable, et qui, comme on dit,
« déconcerta » ses admirateurs…
Brel demeure pour les amorphes que nous sommes un « grand vivant » Et c’est assurément
une seconde raison de l’aimer.
Il y a de toute évidence, outre ses talents de comédien de la chanson
et d’interprète, outre les remarquables orchestrations et cette « symphonie qui s’éloigne » à la fin
de J’arrive, les mots de celui qui, ayant découvert tardivement
Eluard ou Aragon, a eu la politesse de ne plus se rêver en poète, mais s’est
affirmé chansonnier, amuseur, pitre…
Il y a de toute évidence son mépris des bourgeois, des médiocres, des
bigots et des militaires, et sa
tristesse sans âge. « Et plus le temps fait cortège/Et plus le temps fait
tourment… » (La chanson des vieux amants)
Il y a de toute évidence le fait qu’il a joué Don Quichotte et que cela
a donné une chanson comme La quête.
Et la preuve que même par la chanson, on peut atteindre aux limites
absurdes du langage. Belge, donc surréaliste…
« De chrysanthèmes en chrysanthèmes/Les autres fleurs font ce
qu’elles peuvent » (J’arrive)
Et ce « pressentiment de la mort » unique dans la chanson
française et la chanson tout court.
Comme il y a ce frisson métaphysique dont témoignent les presque
quatre minutes de son dernier morceau gravé, Les Marquises, sur l’album
du même nom.
Il y a de toute évidence, et parmi combien d’autres, Amsterdam, Ces
gens-là, Les vieux, Le dernier repas ou La valse à mille temps.
Le texte a été écrit à l'été 2008. C'est ici une version corrigée. Fréderic Perrot
Le texte a été écrit à l'été 2008. C'est ici une version corrigée. Fréderic Perrot
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