mardi 9 janvier 2024

Nietzsche contre le Surhomme : un extrait d'Aurore


 

49. Le nouveau sentiment fondamental :
Nous sommes définitivement éphémères.

    
    Autrefois on cherchait à se donner le sentiment de la majesté de l’homme en invoquant son origine divine : c’est devenu aujourd’hui une voie interdite, car sur le seuil se dresse le singe, entouré d’un bestiaire à faire peur : compréhensif, il grince des dents comme pour dire : par là vous n’irez pas plus loin ! On fait donc maintenant des tentatives en direction opposée : le chemin où s’engage l’humanité doit servir à prouver sa majesté et sa filiation divine. Hélas, de nouveau l’effort est vain ! Au bout de cette route se dresse l’urne funéraire du dernier homme, du fossoyeur (portant l’inscription : nihil humani a me alienum puto). Aussi haut que son évolution puisse porter l’humanité – et peut-être se retrouvera-t-elle à la fin plus bas qu’au commencement ! – elle ne peut accéder à un ordre supérieur, pas plus que la fourmi et le perce-oreille ne s’élèvent, au terme de leur « carrière terrestre », à la filiation divine et à l’éternité. Le devenir traîne à sa suite l’avoir été : pourquoi ferait-il dans ce spectacle éternel une exception en faveur d’une vague planète, et ensuite de la vague espèce qui l’habite ! Assez de ce genre de sentimentalité !


    On résume souvent la pensée de Nietzsche à deux mythes : celui de « l’éternel retour » et celui du « surhomme ». Or, comme le remarquait Maurice Blanchot dans L’écriture du désastre, ce paragraphe d’Aurore constitue un net démenti du second : « Nous sommes définitivement éphémères » et l’humanité « ne peut accéder à un ordre supérieur ». Frédéric Perrot

nihil humani a me alienum puto : « je considère que rien d’humain ne m’est étranger », Térence.

Nietzsche, Aurore, Pensées sur les préjugés moraux
Traduction de l’allemand : Julien Hervier

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