49.
Le
nouveau sentiment fondamental :
Nous
sommes définitivement éphémères.
Autrefois
on cherchait à se donner le sentiment de la majesté de l’homme en
invoquant son origine
divine :
c’est devenu aujourd’hui une voie interdite, car sur le seuil se
dresse le singe, entouré d’un bestiaire à faire peur :
compréhensif, il grince des dents comme pour dire : par là
vous n’irez pas plus loin ! On fait donc maintenant des
tentatives en direction opposée : le chemin où s’engage
l’humanité doit servir à prouver sa majesté et sa filiation
divine. Hélas, de nouveau l’effort est vain ! Au bout de
cette route se dresse l’urne funéraire du dernier
homme, du fossoyeur (portant l’inscription : nihil
humani a me alienum puto).
Aussi haut que son évolution puisse porter l’humanité – et
peut-être se retrouvera-t-elle à la fin plus bas qu’au
commencement ! – elle ne peut accéder à un ordre supérieur,
pas plus que la fourmi et le perce-oreille ne s’élèvent, au terme
de leur « carrière terrestre », à la filiation divine
et à l’éternité. Le devenir traîne à sa suite l’avoir été :
pourquoi ferait-il dans ce spectacle éternel une exception en faveur
d’une vague planète, et ensuite de la vague espèce qui l’habite !
Assez de ce genre de sentimentalité !
On
résume souvent la pensée de Nietzsche à deux mythes : celui
de « l’éternel retour » et celui du « surhomme ».
Or, comme le remarquait Maurice Blanchot dans L’écriture
du désastre,
ce paragraphe d’Aurore
constitue un net démenti du second : « Nous
sommes définitivement éphémères »
et l’humanité « ne
peut accéder à un ordre supérieur ».
Frédéric Perrot
nihil
humani a me alienum puto :
« je considère que rien d’humain ne m’est étranger »,
Térence.
Nietzsche,
Aurore, Pensées sur les préjugés moraux
Traduction
de l’allemand : Julien Hervier
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