Sans prévenir, l’autre nuit encore, tu m’as
rendu visite. Cela faisait tellement longtemps : je ne pensais plus guère
à toi… Si les dates sont difficilement réfutables, vingt ans peuvent passer
comme un rêve… Je n’avais pas envie de te voir. Je n’y étais pas préparé. Mais
est-on jamais préparé à quoi que ce soit ? Tu étais là, inchangé, malgré ta
peau jaunie et tes cheveux mêlés de terre. Tu ne disais rien, tu me regardais avec
une curiosité teintée d’espoir, et, plus sourcilleux qu’une pierre tombale, tu paraissais
décidé à attendre… Puisque tu ne disais rien, soudain je me suis mis à parler,
parler, m’étourdissant de paroles. De quoi pouvais-je donc parler dans ce
silence de purgatoire, et avec tant d’éloquence morbide et de frénésie ? De
moi, de moi, de moi… Un moment de gêne douloureuse s’en est suivi. Tu as souri
tristement, puis tu as eu un geste étrange, comme d’absolution, avant fantôme
éconduit, de disparaître dans les ténèbres, comme tu étais venu…
Quand
ils se rappellent à notre souvenir, les morts, les gentils morts ne nous jugent
pas. Ils nous considèrent même avec indulgence, comme des amateurs qui, n’ayant
accompli qu’une partie du voyage, peuvent encore se payer de mots et étaler
leur vanité d’individus…
Frédéric Perrot
J'aime bien!
RépondreSupprimerMerci Alain, ça me fait plaisir ! A bientôt
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