Il
y a différentes façons de procéder pour qui veut tuer une jeune personne très
tendre. Pour choisir sa victime, le plus simple est de laisser faire le hasard,
qui est le meilleur des juges, tant il est certain qu’il ne s’agit en vérité
que de sortir dans la rue par un bel après-midi et de se décider pour la
première qui en quelque manière vous plaira. Chacun a ses critères et aucun
n’est méprisable. Celui-là appréciera une épaisse chevelure noire où enfouir
son visage, tel autre sera sensible à un nez comme un bec d’oiseau sur lequel
est posée une paire de lunettes rondes et tous deux auront raison : la
beauté est dans l’œil de celui qui regarde. Il est ensuite très sain et
excellent pour la santé de suivre votre élue à travers les rues de la ville.
Voir une jeune personne flâner est un plaisir rare, que ne peut
qu’approfondir l’idée qu’elle ne soupçonne rien de ce qui l’attend :
est-il en effet plus beau spectacle que celui de l’innocence qui ignore encore
qu’elle sera sacrifiée ? Un esprit raffiné ne se lasserait pas de suivre
ainsi sa promise des heures durant : l’observant à la dérobée, attentif à
ses moindres gestes, ébloui par la soudaine bêtise d’une expression… Si la
chance vous sourit, l’exquise aura peut-être ce jour-là décidé de s’acheter des
vêtements dans quelque grand magasin où vous pourrez sans peine la suivre en
vous mêlant à la foule des clients. (Il est à noter par parenthèses qu’il
serait en revanche très imprudent de la suivre dans quelque petite boutique exclusivement
féminine où la moindre présence masculine sans compagnie ne peut passer
inaperçue). Dans les grands magasins, l’époque n’aimant rien tant qu’à être
indiscrète, il est ce que l’on nomme des cabines d’essayage, à proximité
desquelles il vous sera fort loisible de rester sans avoir l’air de rien. Un
simple rideau de toile vous séparera alors du corps hautement désirable de
votre aimée et il est à noter d’ailleurs que les miroirs couvrant murs et
plafonds vous seront d’une aide précieuse, en vous permettant de vous livrer à
votre vice de la plus innocente des façons. Vice est un mot bien fort
soit dit en passant : voir sans être vu est après tout le secret fantasme
de tout à chacun. Il est à parier que la divine après avoir perdu quelques courtes
heures dans les cabines d’essayage aura le désir de rentrer chez elle en
fredonnant quelque petit air entendu dans le magasin : ce qui est la
marque chez ces êtres simples du plus pur contentement. Peut-être fera-t-elle
encore un détour auparavant dans quelque café, mais cela n’a rien de grave :
il vous sera à vous aussi très agréable de vous rafraîchir et vous sustenter,
avant de passer aux choses sérieuses. Rien n’est plus désobligeant que de tuer
le ventre vide et la bouche sèche, et les pauvres en cela comme en tout, sont
bien à plaindre. Il s’agira pour vous après cet intermède plaisant de la suivre
jusque chez elle. Si l’exquise habite un immeuble, vous pourrez
respectueusement vous signer et remercier ce Dieu d’amour et de bonté qui
quelque part dans les nuées veille à ce que tout se passe comme vous le
souhaitez : car rien n’est plus facile que d’entrer dans un immeuble. Vous
pourrez sans peine lui emboîter le pas ou évoquer si cela vous chante des clés
oubliées, un ami dont le nom ne figure pas sur la sonnette, les prétextes les
plus futiles constituant toujours les meilleurs mensonges. Ce sera alors un
plaisir enivrant de la suivre dans les escaliers ou de partager avec elle
l’ascenseur et vous pourrez même vous offrir le luxe de lui adresser poliment
la parole. Elle s’arrêtera par exemple au sixième et vous aurez alors tout
loisir soit de sortir directement à sa suite après l’avoir galamment laissé
passer, soit de monter jusqu’au septième pour redescendre au plus vite par les
escaliers. Le plus difficile dans les deux cas sera de la pousser à l’intérieur
de son appartement en l’empêchant de crier. En plus des indispensables gants,
il peut être très utile à cet égard de vous munir d’un ruban de bande adhésive :
outre que les cris d’une femme sont passablement agaçants, une bonne éducation
et un certain savoir-vivre exigent de ne pas déranger le voisinage. Par
ailleurs, il n’est pas spectacle plus fascinant que celui d’une jeune
personne qui empêchée de crier roule des yeux paniqués. La belle en effet, même
si elle n’est pas des plus futées, est tout à fait capable d’imaginer très
rapidement ce qui va lui arriver : la littérature à deux sous, la
télévision et le cinéma entre autres lui en ont donné d’innombrables aperçus. À cet endroit, il faut préciser qu’il est très nécessaire que
votre jeune victime demeure toujours consciente. Si vous commencez à la rouer
de coups et qu’elle s’évanouit, il ne tiendra qu’à vous de vous apaiser et
d’attendre qu’elle reprenne ses esprits : cela sera beaucoup plus amusant.
Il serait fort indélicat en vérité qu’elle soit aux premières loges et privée
du spectacle. Torturer un corps évanoui est en outre très ennuyeux : il
faut qu’il se débatte et vous résiste, cela fait partie du jeu et vous donnera
encore l’occasion de l’attacher amoureusement avec quelque corde ou quelque fil
fin susceptible de lui lacérer les poignets. Il faut d’un mot que votre jeune
victime sache à tout instant, ait toujours à l’esprit qu’elle va mourir, que cela
est injuste, qu’elle ne l’a pas plus que personne mérité, que vous l’avez
choisie par hasard et que la vie n’est qu’une farce odieuse : ce que vous pourrez lui murmurer à l’oreille, si
vous vous sentez d’humeur sentimentale. Vous pourrez également si vous le
désirez la déshabiller et la contraindre sexuellement comme on le dit de
nos jours avec un sens de l’euphémisme plaisant. Mais ne perdez pas de vue que
rien ne ressemble plus à un corps de femme qu’un autre corps de femme, qu’à la
longue cela est lassant et qu’il est des plaisirs plus sophistiqués que le
simple rut animal. Cependant si cela peut vous soulager, n’hésitez pas. Il sera
en tout cas plus divertissant de la faire souffrir de mille et une façons.
L’imagination des hommes en ce domaine touche parfois au sublime Si elle peut
par exemple s’enorgueillir d’une épaisse chevelure noire, commencez par lui
raser le crâne avant de l’épiler impeccablement de haut en bas, sans oublier de
la blâmer de sa négligence. Ses yeux que la terreur agite vous agacent ?
Retirez-en lui un et faites-le choir de son orbite : cela est très simple
en y enfonçant les doigts et ne fera qu’augmenter la terreur de l’autre. De
même, il est un endroit du cou où la peau est si fine que l’on peut en y
passant simplement la lame d’un couteau trancher promptement une gorge et par
suite, si cela vous tente, détacher la tête du torse. Mais ne cédez pas à
l’impatience : l’important pour vous est de justement garder la tête
froide et de jouir de sa souffrance le plus longtemps possible. Si vous vous
sentez quelque don de plasticien comme on dit de nos jours, vous pourrez
lui dessiner sur tout le corps ou tel un créateur consciencieux sculpter
longuement sa chair au couteau ou avec quelque autre instrument dont le choix
vous appartient. De même si vous vous sentez quelque talent de vidéaste,
autre vilain néologisme, vous pourrez également la filmer. Il est à noter
néanmoins qu’une telle pratique est des plus vulgaires, puisque tout à chacun
– de l’ouvrier dans ses parties de
jambes en l’air avec mémère jusqu’au bourgeois cultivé dans ses partouzes –
peut s’y livrer, s’il dispose d’une caméra : cet œil des borgnes… Comme
tout ce qui est commun, filmer n’a donc guère d’intérêt. Mais il est vrai, cela
est humain, que vous conserverez ainsi quelques souvenirs de votre après-midi.
Il est non moins vrai que vous pourrez par la suite vendre et diffuser votre
bande auprès de ce que l’on nomme des publics avertis : hommes et
femmes respectables toujours friands de sensations fortes et de ces
meurtres filmés en direct. Si par contre plus impérieusement vous vous sentez
d’un coup l’estomac dans les talons comme on le dit de si élégante façon,
n’hésitez pas à lui manger, qui sait un orteil, un doigt, quelque organe
sanglant par vos soins retiré : l’amour est aveugle, la passion dévorante
et après tout il s’agit bien de consommer dans tous les sens du terme.
Une jeune personne très tendre est un mets délicat que seuls peuvent apprécier
des palais lassés de l’affreuse cuisine moderne. Et si vous vous sentez
d’humeur badine, vous pourrez toujours lui murmurer à l’oreille qu’un certain
poète pouvait à une époque hélas révolue prétendre qu’une cervelle d’enfant
doit avoir comme un goût de noisette. Il est certain qu’elle appréciera
même en ces circonstances fâcheuses pour elle votre culture subtile, votre sens
de l’humour et vous saura gré de l’envoyer dans l’autre monde sur un mot
d’esprit. Viendra en effet hélas le temps où il faudra en finir. Vous aurez
alors une fois encore toute latitude d’agir selon votre désir. Si vous êtes
las, l’étranglement, le couteau planté dans la gorge pourront utilement et
rapidement vous débarrasser de cette gêneuse. Si vous vous sentez encore relativement
en forme, il vous sera très agréable de la couvrir de quelque substance inflammable
pour l’embraser, non de vos ardeurs, mais en laissant tomber presque à regret
quelque allumette purificatrice et susceptible encore d’effacer nombre de
traces. N’oubliez pas de même de la remercier de vous avoir consacré un peu de
son temps et jurez lui non moins que vous la retrouverez dans l’Eternité. Il ne
vous restera plus dès lors qu’à rentrer chez vous pour dormir d’un sommeil
parfaitement paisible, après avoir quelques instants encore médité sur la
fugacité des êtres et des choses.
----------------------------
Ce texte écrit à la fin du siècle précédent (!) est bien sûr un exercice de style, presqu’un pastiche, à la manière de Baudelaire – le poète qui se plaisait à imaginer le goût de la cervelle des enfants – et de Sade, pour l’ironie sans interruption… J’ai toujours été étonné à ce propos que nombre de grands esprits – Breton, Blanchot, Bataille, entre autres– aient pu faire tant de bruit autour de ce fameux Marquis, qui n’est qu’un écrivain ennuyeux et secondaire… Par ailleurs, la littérature de genre et le cinéma américain aiment à nous présenter les tueurs en série comme des artistes et des génies du mal (Le Silence des agneaux, le risible Seven…). Rien n’est plus faux. Les tueurs en série ne sont en général que des brutes épaisses, des fauves dépourvus de toute intelligence. Il n’y a pas de génies du mal ; le mal est sans génie : il est banal, terriblement banal… Frédéric Perrot
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire