samedi 25 avril 2020

Dans les profondeurs (avec un dessin d'Eric Doussin)

Eric Doussin


Dans les profondeurs évoluent des créatures étranges

Leurs formes sont souvent épouvantables
Comme les projections d’un cerveau paranoïaque

Parfois ce sont des chimères
Parfois elles semblent inachevées

Leurs noms sont en soi un poème enchâssé

L’affreux requin-lézard
Le revenant dont le crâne est transparent
Le grand avaleur
Le grenadier
Le dragon à écailles
Le grandgousier
Le poisson-ogre
Prédateur robuste et puissant

Mais qui aime les listes et les tentatives d’épuisement ?

À l’avenir vous éviterez de naviguer
Entre fausse érudition et vain encyclopédisme
Vos sources sont de seconde main
Nous ne sommes plus requis par l’écume virtuelle

Nous connaissons parfaitement vos phobies
Elles ont pour noms immersion noyade
Avez-vous consulté en ce qui concerne votre sur-moi ?
Connaissez-vous le sentiment océanique ?

C’est de l’histoire ancienne
C’est l’autre Tartarin de la musique
Qui l’a décrit dans une lettre
Au charlatan de Vienne

Dans les profondeurs
Évoluent des créatures étranges

Preuves manifestes de ce que peut avoir d’aberrant
La vie dans sa dimension biologique

Le mystère est qu’elles ne connaissent
Ni n’aient besoin de la lumière


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« Tartarin de la musique » est l’expression employée par Witold Gombrowicz dans son Journal pour désigner Romain Rolland. Dans des pages célèbres, reprises par Milan Kundera dans L’immortalité, Gombrowicz défend contre Nietzsche et Romain Rolland la musique de Beethoven.

« charlatan de Vienne » est une expression commune pour désigner Freud. Je la connais par Vladimir Nabokov, qui l’emploie dans Lolita.

Qui voudrait savoir ce que Romain Rolland nomme « le sentiment océanique » n’aura qu’à se renseigner !

Le texte appartient au recueil inédit La solitude imaginaire (octobre 2016). Frédéric Perrot.

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