Conseil pour se débarrasser d’un
importun
Il est une manière très simple de se
débarrasser d’un importun : en faire une balle. Pour cela il suffit de
l’attraper par surprise et de le pétrir, le pétrir, jusqu’à ce qu’il prenne la
forme désirée et hautement désirable : celle d’une balle que l’on peut
poser devant soi sur sa table de travail et contempler tout à loisir. Quel
heureux ménage c’est alors ! Comme on s’est acoquiné avec
l’enquiquineur !
Le seul désagrément d’une telle mise en
forme est l’obligation où vous êtes de vous laver soigneusement les mains dans
les six mois qui suivent ; et s’il est certain que cette nécessaire
toilette limite de façon considérable vos possibilités de riposte, il faut bien
cependant vous convaincre que le spectacle de cette balle paisiblement posée
ravira votre esprit en lui suggérant comme tout ce qui est sphérique une idée
de perfection.
Et si par hasard un enfant se présente, il
ne tient qu’à vous de lui tendre le délicat petit objet qui, autrefois fut une
amante intraitable, un glorieux imbécile ou une quelconque âme de laquais
rêvant de grandeur à vos dépens : à le voir sourire, sans oser d’abord,
vous aurez encore la satisfaction d’avoir fait un heureux.
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Une balle
Je
suis une balle, une petite balle. Je tiens dans une main, une main me couvre.
Les joueurs me lancent et me relancent. Avant de me lancer, ils me font
rebondir, et à chaque rebond je m’use, je rebondis un peu moins.
Projetée,
je file dans l’air selon la force du lancer, et parfois je tombe aux pieds du
lanceur. D’autres fois je me perds dans les fourrés. Les joueurs sont d’une
telle maladresse. Je les soupçonne même de s’amuser à mes dépens.
Seule,
perdue dans les fourrés, j’attends d’être retrouvée. Je suis rendue à moi-même.
J’attends. Le temps pour moi s’arrête. Je ne veux pas être une balle au rebut,
un déchet.
Mais
enfin une main me ramasse. Je suis retrouvée, et de nouveau je suis lancée. De
nouveau je sens le temps. De nouveau je rebondis et je m’use. De nouveau je
suis une balle, une petite balle.
Du
moins cela s’est-il passé ainsi jusqu’à présent. Les joueurs sont si
versatiles, et à chaque rebond je m’use, ils finiront par se lasser. Non
seulement je rebondis de moins en moins, mais les balles ne manquent pas, et je
file dans l’air, tant que cela m’est permis encore, mais un soir venant, je
serai lancée un peu plus loin, et perdue, perdue
Le
second texte appartient au recueil autoédité Les heures captives (décembre
2012). Frédéric Perrot.
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