L’autre soir, j’ai lâché la bride à Mister
Hyde. En vérité, il m’est souvent arrivé de le faire, mais sans en avoir
conscience : ce soir-là, j’étais fermement
décidé, décidé à me perdre, à tourbillonner jusqu’au bout de la plus noire
des débauches. Quelques verres et une soudaine rage contre ma vie et moi-même,
que je n’aurais jamais soupçonnée, avaient fait en tout début de soirée et sans
effort, tomber mes habituelles inhibitions. Je me sentais cyniquement fort.
J’étais prêt au pire, je désirais le pire et je savais que j’allais l’accomplir
avec allégresse.
Cela paraîtra comique ou invraisemblable.
Mais ce n’était pas qu’une illusion. Quand j’entrai dans le bar, quelque chose
de trouble et d’excessif en moi, produisit une certaine sensation sur les quelques
clients qui se trouvaient là et n’étaient pas des âmes naïves… Les yeux blasés
se levèrent, on me fit bon accueil. J’étais étincelant, séduisant, j’offrais à
boire à tout le monde et parlais d’abondance sur les sujets les plus variés… Un
seul détail, quoique d’importance, m’empêchait de jouir tout à fait de moi-même. Il n’y avait dans le bar que des
hommes. Je n’ai rien contre les relations entre hommes. Chacun trouve son
plaisir où il veut, où il peut. Mais ce n’est pas mon goût : j’ai la faiblesse de préférer les
femmes ! Il n’y en avait en tout cas aucune et cela me gâchait un peu le
mien. Un bar sans femmes est un endroit très ennuyeux et en général tout lieu,
où il n’y a pas de femmes, me semble un peu rance… Ce n’était pas un de ces
bars de quartier, où la population féminine est sommée de rester à la maison,
tandis que les hommes vont jouer aux cartes : dans cet endroit plutôt
branché, il n’y avait pas de femmes ce soir-là, c’est tout… Cela se sentait
d’ailleurs ! Car on ne jouait pas aux cartes. Il y avait deux ou trois
petites pédales très excitées qui n’arrêtaient pas de piailler. Pour le reste,
cette engeance sinistre, mâle et frustrée, était fort mécontente. Certains pour
oublier s’obstinaient à regarder le match sans intérêt, qui était diffusé sur
le grand écran.
Pour ma part, non sans lassitude, je me
sentais redevenir le docteur Jekyll. J’étais frustré moi aussi. Mon but à l’origine était de « faire la tournée
des grands ducs » et d’aller à l’aube aux putes, de payer tout ce qu’il
faudrait, pour me perdre et me soulager… d’en trouver une, qui serait
particulièrement contraire à mes goûts et de m’effondrer entre ses gros bras,
en murmurant des mots d’enfant… Cela n’arriverait pas. Par ennui, je me mis à
écouter un vieillard, que ses deux fils refusaient de voir et dont l’histoire
était assez semblable à celle du Père Goriot : ce que je lui dis à un
moment, en riant. Je ne pensais plus qu’à boire. J’avais oublié tous les autres
vices, dans lesquels je comptais le cœur joyeux me précipiter… Mister Hyde s’en
était allé. Il n’avait été que le rêve d’un soir
Dessin Jimmy Poussière |
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