mercredi 29 août 2018

L'éponge (à la manière de)




         « Comme dans l’éponge il y a dans l’orange une aspiration à reprendre contenance après avoir subi l’épreuve de l’expression. Mais où l’éponge réussit toujours, l’orange jamais : car ses cellules ont éclaté, ses tissus se sont déchirés.»
                                             Francis Ponge, L’orange


     Tout se passe comme si le mot éponge s’était imposé à moi. Il m’est apparu au matin, alors que je me réveillais ; et j’ai pris l’habitude de considérer avec attention ces apparitions matinales, ayant en général plus d’idées en cet instant de la journée qu’en tous les autres réunis. Goûtant déjà le mot en lui-même pour sa douceur et la manière qu’a le e final de s’effacer, j’y vois également une solide image de moi-même dont la vie tend à prendre l’eau de tous les côtés ; comme j’y entends la possibilité d’expressions multiples dont certaines correspondent à mes préoccupations actuelles d’enfant soigneux de sa personne. Cette douce éponge est donc d’un heureux présage ; puisque ma sécheresse étant légendaire, il se peut que cela fasse quelques siècles que je n’aie pas tracé le moindre mot. Cependant, je dois préciser que dans une version idéalement définitive de ce vibrant hommage à ce petit objet d’usage, il serait nécessaire d’effacer ces vains préliminaires. Rien ne vaut en effet pour commencer une définition nette et précise de ce dont on entend parler. Mais je crois encore pouvoir à cet instant m’autoriser une parenthèse. (Je pense que sans être soupçonné de plagiat je puis considérer l’éponge comme mienne, puisqu’un auteur d’une certaine réputation n’en a, semble-t-il, malgré son parti pris, point parlé. D’ailleurs, si je l’évoque présentement, ce n’est pas tant pour me prévaloir d’une parenté esthétique qui ne serait forcément flatteuse que pour moi, je ne l’ai guère pratiqué et nos points communs ne sauraient dépasser nos initiales respectives, ni pour céder à ce vice si moderne qui consiste à s’éclabousser avec la gloire des autres, mais pour la simple et bonne raison que son nom, d’une manière qui n’est peut-être pas sans équivoque, m’est apparu en même temps que celui de mon objet. A la réflexion, dans une version idéalement définitive de ce vibrant hommage et ainsi de suite, il serait également nécessaire d’effacer cette parenthèse). Revenons donc à notre petit objet, dont je n’ai pas encore dit – merveille des définitions ! – qu’il est « un squelette corné de certains spongiaires, utilisable pour le nettoyage et la toilette à cause de son pouvoir d’absorber l’eau et de la rejeter par simple pression » et qu’il peut donner lieu à des expressions en apparence aussi contradictoires que « boire comme une éponge » – et plus vulgairement « quelle éponge ! » – ou « passer l’éponge sur » : toutes choses qui comme je l’ai dit en mon début résument parfaitement les deux plus grands efforts de ma misérable existence et dont le dénominateur commun serait ma volonté d’oublier.


Ce texte est si ancien que je ne saurais le dater. Je dirais au hasard 1999. Mais peu importe. Frédéric Perrot

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