« Comme
dans l’éponge il y a dans l’orange une aspiration à reprendre contenance après
avoir subi l’épreuve de l’expression. Mais où l’éponge réussit toujours, l’orange
jamais : car ses cellules ont éclaté, ses tissus se sont déchirés.»
Francis Ponge, L’orange
Tout se passe comme si le mot éponge
s’était imposé à moi. Il m’est apparu au matin, alors que je me
réveillais ; et j’ai pris l’habitude de considérer avec attention ces
apparitions matinales, ayant en général plus d’idées en cet instant de la
journée qu’en tous les autres réunis. Goûtant déjà le mot en lui-même pour sa
douceur et la manière qu’a le e final de s’effacer, j’y vois également une
solide image de moi-même dont la vie tend à prendre l’eau de tous les
côtés ; comme j’y entends la possibilité d’expressions multiples dont
certaines correspondent à mes préoccupations actuelles d’enfant soigneux de sa
personne. Cette douce éponge est donc d’un heureux présage ;
puisque ma sécheresse étant légendaire, il se peut que cela fasse quelques siècles
que je n’aie pas tracé le moindre mot. Cependant, je dois préciser que dans une
version idéalement définitive de ce vibrant hommage à ce petit objet d’usage,
il serait nécessaire d’effacer ces vains préliminaires. Rien ne vaut en effet
pour commencer une définition nette et précise de ce dont on entend parler.
Mais je crois encore pouvoir à cet instant m’autoriser une parenthèse. (Je
pense que sans être soupçonné de plagiat je puis considérer l’éponge comme mienne,
puisqu’un auteur d’une certaine réputation n’en a, semble-t-il, malgré son
parti pris, point parlé. D’ailleurs, si je l’évoque présentement, ce n’est pas
tant pour me prévaloir d’une parenté esthétique qui ne serait forcément
flatteuse que pour moi, je ne l’ai guère pratiqué et nos points communs ne
sauraient dépasser nos initiales respectives, ni pour céder à ce vice si
moderne qui consiste à s’éclabousser avec la gloire des autres, mais pour la
simple et bonne raison que son nom, d’une manière qui n’est peut-être pas
sans équivoque, m’est apparu en même temps que celui de mon objet. A la
réflexion, dans une version idéalement définitive de ce vibrant hommage et
ainsi de suite, il serait également nécessaire d’effacer cette parenthèse). Revenons donc à notre petit objet, dont je n’ai pas encore dit – merveille des
définitions ! – qu’il est « un squelette corné de certains
spongiaires, utilisable pour le nettoyage et la toilette à cause de son pouvoir
d’absorber l’eau et de la rejeter par simple pression » et qu’il peut
donner lieu à des expressions en apparence aussi contradictoires que
« boire comme une éponge » – et plus vulgairement « quelle
éponge ! » – ou « passer l’éponge sur » : toutes
choses qui comme je l’ai dit en mon début résument parfaitement les deux plus
grands efforts de ma misérable existence et dont le dénominateur commun serait ma
volonté d’oublier.
Ce texte est si ancien que je ne saurais le dater. Je dirais au hasard
1999. Mais peu importe. Frédéric Perrot
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