Louis Calaferte par Jimmy Poussière |
Il faisait si beau ce matin-là que, par pitié autant que par une espèce de pudeur gênée, la famille s’accorda sur le fait qu’il était en quelque sorte décent de tirer les doubles rideaux de velours devant la fenêtre de la chambre où le vieil homme vivait ses derniers instants. Ce fut l’aînée des filles qui s’en chargea, tandis que le reste des familiers, dont quelques-uns alertés d’urgence n’étaient arrivés que la veille, s’attablait en silence dans la salle à manger voisine pour le petit déjeuner.
Bien qu’elle prît la précaution, comme
chacun depuis des semaines, de marcher sur la pointe des pieds, sa présence n’échappa
pas au moribond. Ainsi qu’il le faisait depuis qu’il n’avait plus la force de
soulever la tête, élevant faiblement une main qui retomba aussitôt sur le rabat
du drap, d’une voix calleuse il s’informa en quelques mots du temps qu’il
faisait.
- Epouvantable,
lui répondit en chuchotant la jeune fille sans oser se retourner vers lui. Du
vent et de la pluie, comme tous ces jours-ci.
Les doubles rideaux coulissèrent, ne
laissant plus filtrer dans la pièce qu’une lumière diffuse.
La voix sans tonalité qu’un souffle court
émiettait semblait flotter sans consistance entre les murs :
- Tant mieux… Je n’aurais pas voulu partir
par un beau soleil…
Louis
Calaferte, extrait de Promenade dans
un parc
Louis Calaferte (1928-1994) est l’auteur d’une
œuvre abondante. Son livre le plus fameux est le « scandaleux » Septentrion (1963) qui eut le bel
honneur d’être frappé de deux interdictions émanant du Ministère de la Santé
(sic) et du Ministère de l’Intérieur. Le livre « maudit » sera finalement réédité vingt ans plus tard par les éditions Denoël.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire