Epiphanie
À l’instant précis – 14 heures 37,
indiquait son horloge murale – où les trois bombes nucléaires explosèrent au
large, à un kilomètre environ de la luxueuse villa qu’il avait louée pour
l’été, l’écrivain vieillissant nommé Raphaël de Valentin – ce n’était qu’un
pseudonyme emprunté à une lecture de jeunesse et qu’il conservait pour des
raisons sentimentales –, mettait justement un point final à la quatorzième
version de ce qui devait être le plus fameux sonnet de toute son œuvre,
« son couronnement », celui dans lequel en tous cas en quelques vers
admirables, il avait condensé son expérience de la vie et qu’il avait titré,
malgré son peu de goût pour les métaphores religieuses, Epiphanie… Il se leva péniblement et en grimaçant – car c’était
cela la vieillesse, la monotonie de la douleur –, et par la vaste baie vitrée
de la villa – « Vue imprenable sur l’ancienne mer Méditerranée ! »,
proclamait le prospectus publicitaire de l’agence –, il regarda les trois
immenses champignons grisâtres s’élever dans le ciel d’un gris semblable.
C’était terrible à dire, songea-t-il, mais le spectacle ne manquait ni de
beauté, ni de poésie, comme une rapide vision de rêve… Les trois explosions
simultanées provoquèrent une vague prodigieuse qui, à une vitesse non moins
phénoménale, se dirigeait vers la côte et au moment où la baie vitrée vola en
éclats, il eut juste le temps de se dire sans tristesse particulière, qu’il
était parvenu à mettre un point final à son œuvre, même si c’était un peu tard…
Frédéric Perrot
Eric Doussin |
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